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Samedi 16 janvier 2016
Agit-Tracts. Un siècle d’actions politiques et militaires
Zvonimir Novak (L’Échappée)
Article mis en ligne le 17 janvier 2016
dernière modification le 21 janvier 2016

par CP

Agit-Tracts

Un siècle d’actions politiques et militaires

Zvonimir Novak (L’Échappée)

Qui n’a jamais eu de tract entre les mains ? Difficile d’imaginer que ce modeste bout de papier, tout juste bon à être jeté, fut pendant longtemps une arme capable de provoquer des séismes politiques. Depuis qu’il existe sous la forme de libelle, de mazarinade ou de pamphlet, son pouvoir de nuisance n’est plus à démontrer.

Si l’affiche couvre les murs, le tract occupe la rue où il circule facilement de main en main. Grâce à son petit format et à son impact visuel, il devient à l’approche du xxe siècle un outil essentiel pour mener des actions politiques et militaires. Information, contre-information, désinformation, guerre psychologique, propagande électorale et manifeste, la bataille du tract se joue sur tous les fronts. Pourtant, le rôle de cette « littérature de rue » reste encore largement sous-estimé voire méconnu.

À travers l’étude de centaines de documents, souvent inédits, Agit-tracts[

Introduction. Ne pas jeter sur la voie publique

 1. Le tract dans tous ses états

] nous fait découvrir autrement un siècle de batailles idéologiques. De l’affaire Dreyfus à Mai 68, en passant par la Grande Guerre, le Front populaire, la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Indochine ou encore celle d’Algérie, le tract est un moyen de diffuser des vérités souvent crues et affranchies de toute censure.

S’il comble jusque dans les années 1970 les vides d’une information sous contrôle, il abreuve aussi d’illustrations une société dans laquelle les images sont rares. Or, à l’instar de l’affiche, le tract constitue un important support de création graphique. Pour appâter, convaincre ou informer, les mots ne suffisent pas, il faut aussi des idées et de bons visuels. Toutes les techniques sont mobilisées pour amadouer l’homme de la rue : bandes dessinées, caricatures, photomontages, illustrations à la plume, au fusain ou à la gouache, rien n’est trop bien pour l’intox, rien n’est trop beau pour triompher.

Professeur d’arts appliqués et journaliste, Zvonimir Novak est spécialisé dans l’imagerie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces sujets parmi lesquels La lutte des signes, 40 ans d’autocollants politiques (Éd. Libertaires, 2009) et Tricolores. Une histoire visuelle de la droite et de l’extrême droite (L’échappée, 2011).

Agit-Tracts ou agit-prop ? Le tract est une expression politique, populaire, spontanée, fugace, revendicatrice, dénonciatrice, et c’est aussi de la propagande… Zvonimir Novak tient ici la gageure d’un tour d’horizon historique du tract sur un siècle. Un siècle d’actions politiques et militaires, comme l’indique en couverture, le sous-titre de l’ouvrage inscrit sur un tract tombé d’un hélico. Ce qui résume bien le bouquin.

Le tract, un bout de papier jeté ou à jeter ? Le tract peut aussi être une arme politique, un pavé dans la mare de la pensée officielle, un moyen de revendiquer, de résister de manière anonyme à la répression. Il suffit de penser aux tracts anti-guerre qui circulaient dans les marchés, grâce aux femmes, pendant la Première Guerre mondiale. « Depuis qu’il existe sous la forme de libelle, de mazarinade ou de pamphlet, [le] pouvoir de nuisance [du tract] n’est plus à démontrer. Si l’affiche couvre les murs, le tract occupe la rue où il circule facilement de main en main. »

Ainsi le tract est partie prenante de toute forme de résistance… et de propagande. Car très vite le pouvoir va l’utiliser pour brouiller les cartes, distiller des idées nauséabondes, pour enfin renforcer son contrôle sur la population et la manipuler. « Information, contre-information, désinformation, guerre psychologique, propagande électorale et manifeste, la bataille du tract se joue sur tous les fronts. » C’est donc un siècle de batailles idéologiques que l’on découvre à travers les nombreux documents et commentaires de ce formidable ouvrage de Zvonimir Novak.

Agit-Tracts. Un siècle d’actions politiques et militaires, un siècle d’images subversives, violentes, acerbes, sans censure, étonnantes, choquantes, avec des visions instantanées de l’événement… C’est de l’histoire en accéléré, et c’est particulièrement remarquable dans les époques qui ont précédé l’omniprésence de la télé. Agit-Tracts traverse un siècle d’histoire sans gloire, l’antisémitisme le plus débridé, le tractage antimaçonnique, le populisme de droite, sans oublier les diatribes contre « l’étranger ».

En effet, en lisant « Les Métèques en Palestine. La France aux Français » sur un tract de 1908, on peut se poser la question de l’évolution des mentalités, et ce n’est pas le seul questionnement, en tournant les pages de l’ouvrage de Zvonimir Novak. La Première Guerre mondiale, la grande boucherie, produira un déchaînement contre les Allemands, histoire de mobiliser la troupe —
« qu’un sang impur abreuve nos sillons » ! —, et de se faire zigouiller,
« la fleur au fusil », pour la patrie… Enfin pour l’avancement d’officiers aussi méprisants de la vie humaine qu’avides des honneurs guerriers.

Lire, feuilleter Agit-Tracts. Un siècle d’actions politiques et militaires [1]
, c’est un peu comme remonter l’histoire dans un hors champ subversif et dérangeant, dans les coulisses de la propagande, et parfois elles puent ces coulisses avec des dessins et des slogans racistes qui, qu’on l’accepte ou non, reflètent sans euphémismes les courants idéologiques des époques traversées. Les tracts sont des indicateurs de ce que l’on a peut-être voulu ignorer, effacer de la mémoire nationale, collective, mais qui remontent à la surface lors d’événements traumatisants. Le phénomène du bouc émissaire marche toujours très bien.

L’Affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale, le Front populaire, l’antisémitisme institutionnalisé, la Seconde Guerre mondiale, la menace d’une troisième guerre, le plan Marshall, la guerre froide par propagandes interposées — US contre URSS —, la reprise des symboles détournés en clichés, les campagnes électorales — souvent fadasses et sans imagination—, les guerres coloniales qui ne disent pas leur nom, la « pacification » de l’Algérie avec son cortège de clichés racistes, toujours en cours… Et, avant mai 1968, qui marque une sorte d’apothéose de l’expression spontanée, les mouvements dada et surréaliste, les Lettristres et l’Internationale situationniste s’emparent avec brio et dérision d’un support dont ils utilisent toutes les techniques — BD, détournements, caricatures, photomontages, effets graphiques — permettant une création multiforme sans frein, immédiate, active, fulgurante, révolutionnaire.



Présentation et débat à Publico

Je suis Charlie. Ainsi suit-il…

Alain Brossat, Olivier Le Cour Grandmaison, Luca Zalza (L’Harmattan)

Agit-Tracts.

Un siècle d’actions politiques et militaires

Zvonimir Novak (L’Échappée)

Je suis Charlie. Ainsi suit-il.

ouvrage collectif (L’Harmattan)

En compagnie d’Alain Brossat, Olivier Le Cour Grandmaison et Lucas Salza

Nous avons écrit ce livre parce que nous étions furieux.
Furieux de voir ce pays gouverné à l’émotion et à la peur au lendemain des attentats de janvier 2015, furieux de voir l’opinion publique guidée en troupeau, furieux de voir s’installer une censure qui n’osait même pas dire son nom.

Ces moments où un public tétanisé par un événement violent emboîte en somnambule le pas à des gouvernants manipulateurs, cyniques et, pour une part, carrément patibulaires, ces moments où s’abolit tout discernement du public sont eux-mêmes plus terrifiants que ce qui les suscite.

Celles-ceux qui s’expriment dans ce livre ont en commun d’avoir voulu, envers et contre tout, rétablir les droits de la pensée critique face à un tel événement. Ils sont loin d’être alignés sur les mêmes convictions et les mêmes analyses. Certains mettent l’accent sur la dimension coloniale, néo-coloniale de ce qui est en jeu dans les attentats de janvier, d’autres sur la bataille des mots, d’autres sur les équivoques du rassemblement en défense de la « liberté d’expression  » tel qu’il s’est alors formé, d’autres encore sur les traits inquiétant imaginaire collectif qui se forme dans ce type de situation. Toutes-tous ont écrit à contre-courant de la pensée unique qu’ont alors véhiculée les gouvernants, les drones intellectuels et la presse d’encadrement.

Les attentats du 13 novembre offrent à ce livre un regain d’actualité dont il ses auteur-es se seraient bien passés. C’est dans ce contexte même qu’ils sont prêts à le présenter et en discuter.