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Samedi 26 mars 2016
Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plà. In Jackson Heights de frederick Wiseman. Good Luck Algeria ! de Farid Bentoumi. Les Ogres de Léa Fehner
Article mis en ligne le 27 mars 2016
dernière modification le 3 avril 2016

par CP

Un Montre à mille têtes

Film de Rodrigo Plà (30 mars)

In Jackson Heights

Film documentaire de Frederick Wiseman (23 mars)

Good Luck Algeria !

Film de Farid Bentoumi (le 30 mars)

Les Ogres

Film de Léa Fehner (16 mars)

Un Monstre à mille têtes

Film de Rodrigo Plà

Le second film de Rodrigo Plà, réalisateur de la Zona, est un thriller social et politique abordant de plein fouet le système libéral de santé en place dans de nombreux pays, notamment en Amérique latine, dont le modèle est calqué sur celui des États-Unis. Un système qui a pour seul but le profit, en sacrifiant les malades, sans que cela engage la responsabilité de l’État sinon complice, certainement défaillant.

Un Monstre à mille têtes de Rodrigo Plà soulève des problèmes cruciaux liés à la santé publique, aux droits des malades et aux coûts des traitements… Sont en jeu les intérêts des industries pharmaceutiques, des assurances privées et, bien entendu, des actionnaires, bref tout un système échafaudé sur fond de corruption et d’absence d’éthique médicale. La santé a un coût et elle est évidemment à plusieurs vitesses. Pour preuve, le cas dramatique de l’écrivain argentin, Ricardo Piglia, mis en danger par le refus de sa compagnie d’assurance de prendre en charge les médicaments lui permettant de soigner sa sclérose latérale amyotrophique. Soigner coûte cher, et qui ne peut payer n’est pas soigné.

Un monstre à mille têtes, c’est un roman de Laura Santullo, un film de Rodrigo Plà et un scénario élaboré à deux. « Le Mexique est le cadre dans lequel évoluent nos personnages, [souligne Laura Santullo] il y a de la corruption, des inégalités et de la violence, mais la situation n’est pas spécifique à ce pays. La privatisation du secteur de la santé, la bureaucratisation des services de base et le citoyen réduit au rôle de consommateur de polices d’assurances ayant des droits limités sont des problèmes assez répandus dans le monde. »

Si le « monstre  » est représenté dans le film par une compagnie d’assurance privée, la critique de ce système pyramidal, qui assure la déresponsabilisation et installe une logique de déshumanisation — parfaitement illustrées dans Un monstre à mille têtes —, cette critique s’adresse tout autant à la santé publique et donc à l’État.

Un monstre à mille têtes met en scène une famille de la classe moyenne mexicaine, affiliée à une assurance privée depuis des années, qui se voit refuser un traitement du cancer sous prétexte que le dit traitement serait encore expérimental. Désespérée, Sonia Bonet va se heurter à la logique du profit mais tout tenter pour obtenir le traitement et soigner son compagnon. Le déni de la mort de l’être aimé va pousser Sonia — incarnée par une merveilleuse comédienne, Jana Raluy ! — à se révolter et partir à la recherche du médecin référent pour le convaincre d’accorder le traitement. Commence alors un périple hallucinant et une course contre la montre pour lever le blocage du dossier médical.

Le choix de la narration du film donne un récit fragmenté et la vision de plusieurs points de vue, hors champ et parfois contradictoires. En même temps que se déroule chronologiquement la quête de Sonia, entraînée dans une spirale de la violence, il y a le regard de son fils adolescent et — en voix off — les témoignages des personnages vivant le combat de Sonia. « Un animal blessé ne pleure pas, il mord. »

La santé, un droit humain ? Au Mexique comme ailleurs, certainement pas lorsqu’il s’agit du profit des assurances privées, toutefois cela concerne aussi les banques, l’État, les multinationales, dont l’éthique n’est pas au programme, cela produit les « monstres » multiformes des temps modernes. Et le système fonctionne, car la responsabilité est à ce point disséminée, avec la complicité ou l’apathie de la bureaucratie, qu’elle n’est à aucun moment assumée par quelqu’un, une pratique commode pour se défausser sur l’une ou l’autre des mille têtes du monstre. Comme le dit l’une des actionnaires en forme d’excuse : «  je ne suis en rien responsable de votre situation, je ne suis que l’actionnaire. »

Entretien avec le réalisateur. Sortie nationale de Un Montre à mille têtes le 30 mars.



In Jackson Heights

Film documentaire de Frederick Wiseman (23 mars)

À 86 ans, l’extraordinaire documentariste qu’est Frederick Wiseman nous livre un film remarquable, In Jackson Heights, sur l’un des endroits les plus cosmopolites du Queens à New York.

Rarement un film transporte ainsi, dès le début, le public dans la réalité d’un lieu, dans la proximité de ceux et celles qui habitent le quartier. Une immersion, une balade difficile à décrire, tant les images, les mots, les impressions se succèdent à un rythme effarant : l’immigration, les difficultés quotidiennes, les rêves de naturalisation, la parade — depuis 22 ans — contre les discriminations et l’homophobie, la notion de communauté, la menace d’expulsion des petits commerces, la gentrification en marche pour raison d’opérations immobilières à l’image de Brooklyn, du Bronx ou de Long Island, la junk Food, les vieux, les papiers à obtenir, les conditions de travail, les religions… Tout y passe ! Avec, en fil rouge, le métro aérien qui rythme la vie du quartier… Comme si on y était.

Frederick Wiseman filme le quotidien et reste fidèle à la spécificité de la technique qu’il utilise pour placer le public au cœur de l’événement. « Cette technique, quand elle réussit, donne une impression d’immédiateté. Le spectateur se sent, même temporairement, présent sur place. On lui demande de penser et de ressentir par le biais de ce qu’il a sous les yeux. » (Frederick Wiseman, Filmer la mise en scène du quotidien).

Dans le quartier de Jackson Heights, on ne parle pas moins de 167 langues, les latinos sont en majorité. Cosmopolitisme, regards croisés. Les paroles se croisent aussi, l’inquiétude des commerçants, leur bail n’est pas renouvelé : « Nous serons tous expulsés, c’est le début d’un projet général. En premier, les magasins, ensuite la pub pour de nouveaux habitants. Et les prix augmentent… Un système pour faire vendre les propriétaires actuels. Nous sommes dans un pays capitaliste et le propriétaire fait ce qu’il veut. »
«  Ils ont du fric ces investisseurs. Ils vont virer les marchands ambulants, alors ce ne sera plus Jackson Heights ! » « C’est dur pour nous, il faut s’organiser pour nous défendre ! »

Et le métro aérien passe et repasse, encore et encore. On prie dans la rue en anglais, à l’Église en espagnol, on passe de la synagogue à l’école coranique, du toilettage des chiens à la fabrique des ongles, des matchs de foot à la danse orientale… Et dans le local de l’association d’aide aux migrants, une assistante sociale conseille : « À la question : pourquoi voulez-vous devenir citoyen ou citoyenne des Etats-Unis ? Le mieux est de répondre : pour voter. » Mais une des femmes rétorque que pour elle, c’est la constitution et la liberté d’expression.

Dans la rue, une discussion s’engage : « Nos représentants ne viennent jamais et ils sont corrompus. » « Ici, il y a beaucoup de libertés, mais aussi celle de maltraiter et de te virer. »
Si le besoin est « un chien enragé », « Peu importe la couleur ou la religion, l’exploitation est partout. »

La menace est sur Jackson Heights… On regarde déjà presque avec nostalgie les marchands ambulants, le métro qui déboule dans le soir qui tombe… On est dans un coin encore populaire de New York, In Jackson Heights.

Le film de Frederick Wiseman, In Jackson Heights, est sur les écrans depuis mercredi dernier et c’est une merveille !



Good Luck Algeria !

Un film de Farid Bentoumi

(sortie nationale le 30 mars)

Deux amis d’enfance gèrent une petite entreprise de fabrication de ski, Sam est franco-algérien, mais parle mieux anglais qu’arabe, Stéphane est du genre commercial, et il a la chache. Lorsque l’entreprise est menacée de faillite, Stéphane forme un projet original : faire participer à une compétition internationale de sky de fond Sam, qui représentera l’Algérie ! Et là démarre une aventure qui mêle le décalage culturel, la corruption, l’exil, l’identité, la terre des exilés et celle de ceux qui la travaillent, la famille… Bref une comédie qui aborde des problèmes graves sur le mode humoristique.

Le film a obtenu le prix du public au Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier en 2015 et sort le 30 mars prochain. Cet entretien avec Farid Bentoumi et ses deux comédiens, Sami Bouajila et Franck Gastambide a eu lieu lors de la première projection du film, à Montpellier, en octobre 2015.

Entretien avec Sami Bouajila, Franck Gastambide et Farid Bouajila

Musiques :
 Melk Lahdid
 Cheb Mami et Idir, x
 Rachid Taha, Voilà voilà



Les Ogres

Léa Fehner (16 mars)

Les Ogres, deuxième long métrage de Léa Fehner, a pour décor un théâtre ambulant, un lieu qui lui est parfaitement familier puisque c’est la compagnie théâtrale de ses parents. Cela donne un film drôle, surprenant, truculent, follement vivant, et même mouvementé avec la vie de la grande famille des saltimbanques, le quotidien de la troupe avec ses dissensions et ses attentes.

Le spectacle est sur la scène avec L’Ours de Tchekhov, mais aussi dans les coulisses et même dans la salle. Un soir un accident, puis le retour d’une comédienne, un amour passé qui réveille les souvenirs et des rancœurs… Mais le spectacle continue, pour notre plaisir.

Dans la distribution, deux comédiennes lumineuses, Lola Duenas (notamment vue dans des films de Pedro Almodovar) et Adèle Haenel…

L’entretien avec Léa Fehner, François Fehner et Lola Duenas a eu lieu à Montpellier, lors du Festival international du cinéma méditerranéen, en pleine ambiance du festival…

Première partie de l’entretien.