Chroniques rebelles
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O Corno.
Une histoire de femmes

Film de Jaione Camborda (27 mars 2024)
Entretien avec la réaiisatrice

Inspiré par les rencontres avec plusieurs femmes et les histoires qu’elles ont confié à la réalisatrice, O Corno donne à voir ce qu’est la vie dans un village de Galice en 1971, quatre ans avant la mort de Franco. Si le contexte politique n’est pas directement évoqué, il est toutefois présent par l’impression générale d’une société sous surveillance et marquée par la sensation d’agir dans la clandestinité. En particulier pour les femmes, qui subissent à la fois l’oppression du patriarcat et de l’Église, rendant ainsi toute velléité d’autonomie suspecte. C’est dans cette atmosphère pesante d’interdits et de tabous que Maria assiste les femmes pour accoucher et parfois aussi celles qui ne veulent pas avoir d’enfant.

Une jeune fille, Lisa, lui demande son aide pour avorter, mais la jeune fille meurt et Maria, prévenue par une voisine, doit fuir et tout abandonner. Commence alors un périple difficile qui la conduit au Portugal.

« Le personnage de María semble être un même corps dans lequel les autres personnages féminins se reflètent et s’identifient » : la jeune accouchée, Lisa qui veut avorter, la vieille femme portugaise dans le bar et Anabela, la prostituée… « Tout le film est ainsi traversé par ces jeux de miroir entre les personnages pour exprimer le désir d’être l’autre et éliminer la distance entre ces femmes. […] Ainsi s’exprime l’espace de la sororité. » Il est important, selon Jaione Camborda, de rappeler un passé où les femmes risquaient leur vie pour le droit à disposer de leur corps, car le risque d’un retour à l’interdiction d’avorter est partout d’actualité dans le monde. De même, ajoute la réalisatrice, qu’il est essentiel de souligner que les « frontières qui nous sont imposées de la part de systèmes politiques […] ne sont pas naturelles. Toutes ces frontières qui s’imposent sans cesse mettent en péril la vie humaine. »

À la réalisation magnifique de Jaione Camborda, il faut signaler l’incarnation sublime et inspirée de Maria par Janet Novas, comme le travail sur l’image de Rui Poças pour installer visuellement l’ambiance de répression de l’époque, sans oublier la bande son composée par Camilo Sanabria.
Au début de cet entretien, Jaione Camborda revient sur le titre du film…

Paternel
Film de Ronan Tronchot (27 mars 2024)

Après des années de prêtrise dans une petite ville française, Simon découvre qu’il est aussi le père d’Aloé, un adolescent de 11 ans. Louise, avec qui il avait eu une relation amoureuse, réapparaît soudainement dans sa vie pour qu’il reconnaisse l’enfant. Pourquoi n’avoir rien dit auparavant et pourquoi cette décision après plus de 11 ans ? « Tu étais au séminaire et t’allais être prêtre… », lui répond-elle. À présent, Louise désire préserver Aloé au cas où il lui arriverait quelque chose. Devant cette révélation, Simon tout d’abord refuse cette paternité, mais peu à peu, il est troublé par Aloé qui remarque « tout le monde t’appelle mon père et moi je ne peux pas t’appeler papa ! » Par ailleurs, il est confronté à la jeune Marion, qui est enceinte et ne veut pas garder l’enfant, malgré la pression de ses parents pour qui l’IVG est inimaginable. Simon s’en remet alors à la volonté divine sans entendre la détresse de la jeune fille. C’est Louise qui la rencontre et la soutient dans sa décision d’avorter.
À travers le dilemme de Simon et sa tentative de convaincre les plus hautes instances de l’Église que sa vocation est compatible avec l’amour paternel, les contradictions de l’Église sont mises à jour de même que ses dénis et ses hypocrisies. La remise en question de l’engagement du prêtre en regard de la vie sacerdotale va décider de la décision de Simon confronté la duplicité de l’Église. Lorsqu’il revoit la jeune Marion, il lui avoue ne pas avoir été à la hauteur et ne pas l’avoir écouté : « Tu as pris une décision courageuse Marion, et ceux qui te jugent, qu’ils aillent se faire voir ! »
Paternel pose de multiples questions sur l’Église catholique et les règles qui la régissent depuis des siècles — le célibat obligatoire, la paternité interdite, l’invisibilité des femmes, le déni de leurs droits, notamment à l’IVG — , autant de règles basées sur le patriarcat et la hiérarchie. « Des certitudes naissent la peur »… dit Simon dans un discours devant ses pairs. Belle harangue !
Il fallait l’immense talent de Grégory Gadebois pour nourrir le personnage de Simon, dans sa sincérité et sa complexité.
Nous sommes sur Radio Libertaire et il est évident que tout l’intérêt de ce premier film de Romain Tronchot réside, à nos yeux, dans la remise en question, la critique de règles décadentes et le refus d’un homme de les accepter.
Paternel de Ronan Tronchot est au cinéma le 27 mars 2024.
Ni Dieu ni maître… Radio Libertaire, les chroniques rebelles…

Apolonia, Apolonia
Film de Lea Glob (27 mars 2024)

Lorsqu’elle rencontre Apolonia Sokol en 2009, la cinéaste en herbe qu’est alors Lea Glob est fascinée par la jeune femme et décide de la filmer pour ce qui devait être un exercice d’école. Elle était loin d’imaginer que cet « exercice » allait se poursuivre pendant treize années importantes dans l’itinéraire artistique d’Apolonia. Treize années d’amitié et de rushes amassés qui sont le matériel d’un portrait étonnant de femme et d’artiste dans son évolution et son parcours créatif. La fascination de Lea Glob vient certainement du fait qu’Apolonia est issue d’un milieu bohème et international, elle est élevée en partie dans un théâtre alternatif situé dans le quartier populaire de la Goutte d’or, fondé par son père. Apolonia déborde d’énergie et d’idées dès l’enfance avant même de se lancer dans la peinture, domaine dans lequel elle décidera d’exceller.
En fait, Apolonia entraîne la cinéaste danoise dans ses éclats, ses recherches et ses provocations, et celle-ci l’observe par le truchement d’une caméra mouvante, présente, captivée, dans un tourbillon d’expressions artistiques qui fusent, se détruisent, se recyclent dans une quête sans cesse renouvelée pour atteindre une dimension perfectible, et peut-être se voulant parfaite, dimension recherchée et transcendée par Apolonia.

Les deux femmes sont rapidement proches et liées chacune par un travail qui semble parallèle, bien que les éclats magnifiques d’Apolonia bousculent parfois, surprennent Lea et s’exposent avec bruit, à l’image d’un itinéraire chaotique, qui découle de ses voyages, de ses rencontres avec Oksana Chatchko, cofondatrice en Ukraine des Femen, obligée de fuir la répression en raison de ses engagements féministes radicaux. Oksana est elle-même peintre et excelle dans le détournement de l’expression patriarcale… Il y a aussi les chocs vécus : la perte du théâtre, dont Apolonia défend la continuation jusqu’au bout, les luttes qui s’affichent sur les banderoles et des panneaux : « Si vous n’aimez pas les étrangers, il ne fallait pas nous coloniser ! » Le théâtre du Lavoir moderne figura une sorte d’antre de la création où les échanges étaient effervescents, politiques, un refuge aussi pour la jeune femme, en même temps que symbolique des souvenirs heureux de l’enfance, la passion des parents que l’on entrevoit à travers des cassettes VHS, puis leur séparation, le suicide de sa sœur choisie Oksana à qui est dédié ce long portrait cinématographique de Lea Glob, les combats féministes, les pérégrinations d’Apolonia entre New York, Los Angeles, l’Europe et Château rouge pour exprimer son monde en peignant, pour créer des images, des visages en miroir, des échos de la vie…
« J’ai souvent pensé qu’il était temps que je coupe la caméra [confie Lea Glob en voix off]. Mais je continuais… » Pourtant, malgré les rebondissements dans l’œuvre d’Apolonia, Lea Glob finira par arrêter l’exercice et nous livre avec ce film une œuvre à la fois amicale et sans emphase d’une peintre éprise de liberté, d’une femme hors du commun.
Apolonia, Apolonia de Lea Glob au cinéma le 27 mars.

Los Delincuentes
Film de Rodrigo Moreno (27 mars 2024)

Un film sur l’aliénation au travail ? Pas seulement, bien que, à première vue, il soit d’abord lié à la logique du raisonnement suivant : n’est-il pas préférable de faire trois ans et de demi de taule plutôt que d’accepter l’incarcération à vie dans un travail alimentaire et ennuyeux. Mais le raisonnement entraîne évidemment l’idée d’un choix de vie, comme de dépasser des principes de moralité imposée par la société, autrement dit prendre la voie de la délinquance. Il faut toutefois bien reconnaître que les règles morales ne s’appliquent pas au système bancaire… Alors lorsque Morán, employé modèle d’une banque de Buenos Aires, évalue la somme représentée par une vie de salaires et échafaude le plan, avec la complicité de Román, de se servir au coffre, on peut considérer cela comme une opération de réappropriation individuelle.
Il est vrai que le prologue du film, départ au boulot, même trajet et tâches répétitives ne donnent guère envie de perpétrer cette routine abrutissante pour le reste de sa vie. Donc, dérober à un système basé sur le vol l’équivalent de 25 ans de rémunérations, histoire de commencer une autre vie, de repartir à zéro, c’est tentant et c’est aussi échapper à l’ennui, à sa vie médiocre, en quelque sorte retrouver un sens à son existence…

Morán part en cavale, rencontre une femme, goûte à une vie différente, planque l’argent, et se rend à la police. Román, soupçonné et très surveillé, continue de travailler à la banque pendant qu’une enquête se déroule sous haute tension auprès du personnel pour retrouver l’argent volé. Cependant, malgré les intimidations, la baisse de salaire par rétorsion, le licenciement du gardien, aucun indice n’est trouvé et l’enquêtrice à la main de fer fait chou blanc. L’ambiance est pesante et c’est l’occasion de voir l’opportunisme et la médiocrité générés dans ce type de situation. Aucune prise de conscience ne prévaut. Parallèlement le vie en prison de Morán ne se passe pas comme prévu, rançonné dans un milieu carcéral, qui a ses règles, il supporte de moins en moins la pression exercée et charge Román de dissimuler le sac et les billets dans une région montagneuse, repérée auparavant par son complice.
Fin de la première partie.

La structure du film peut « s’apparenter à celle d’un roman, en termes de longueur et de narration non linéaire, avec des allers retours entre les événements. » Le film dure trois heures, se découpe en chapitres, qui rendent cette durée nécessaire pour suivre le cheminement des deux protagonistes, leur évolution au cours des événements et de leur quête personnelle, les flashbacks aussi sur une existence de zombie… Les deux complices envisagent leur futur en effet selon leurs rencontres, et chacun à sa manière, une liberté nouvelle. Bien qu’ils représentent à eux deux les facettes et la complexité d’une même personne.
Parce que la moralité concernant le vol n’est pas le sujet du film, « j’invoque [souligne Rodrigo Moreno] la vieille maxime, attribuée à Brecht, selon laquelle fonder une banque est un crime bien plus grave que de la dévaliser. […] En ce sens, le film adopte un point de vue anarchiste et ne s’attarde pas sur des questions bourgeoises, mais considère plutôt l’idée que la vie moderne, telle qu’on l’entend, anéantit la possibilité que l’homme soit véritablement libre. C’est sur cette tension que se construit le rêve de Morán, qu’il finit par atteindre en acceptant d’être privé de sa liberté. » Un rêve impossible ? Les personnes que croisent les deux hommes seraient plutôt la preuve que le rêve peut-être réalisé, les femmes notamment sont libres d’esprit et refusent les contraintes. Dans l’intrigue, l’équipe de tournage filme en toute liberté.

L’enjeu du film, et plus largement le cinéma, est, comme l’explique le réalisateur, d’aborder les préoccupations concernant le travail en général, « vie professionnelle versus loisirs, dépendance versus liberté, routine versus aventure dans un nouveau contexte formel. Le cinéma a de nouvelles responsabilités depuis qu’il a été relégué au second plan par le phénomène des séries télévisées et des télé films : ramener à l’écran la créativité cinématographique d’antan. Le cinéma doit sauver le public de la standardisation et des paresseuses habitudes de visionnage. Mon objectif principal, uniquement motivé par le plaisir et la passion des ressources cinématographiques, était donc de raconter cette longue histoire par la seule grâce du cinéma (utilisation suggestive de la musique, du split-screen, des fondus, etc.). »
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno joue entre le genre documentaire et la fiction, l’enfermement de la ville et de la prison, et l’ouverture sur la nature, la flore et la figure du cheval sont importantes. Los Delincuentes est une fable libertaire qui porte la réflexion sur le sens de l’existence, le désir et le courage du changement. La fin est bien évidemment ouverte pour prolonger les questionnements… « Où est la liberté  ? »
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno à voir au cinéma le 27 mars.

En marche ou grève
David Snug (éditions Nada)

Rencontre avec David Snug

Après 3 BD décapantes pour lesquelles David était venu nous en parler dans les chroniques, publiées aux éditions Nada
La Lutte… pas très classe
Dépôt de bilan des compétences
Ni Web ni master

David Snug revient pour nous présenter un nouvel opus sur la marche, oui, mais pas n’importe laquelle, La randonnée pédestre en milieu urbain dont il a inventé le concept, parce que ce qui compte, ce n’est pas la destination, mais le chemin… Ah bon !? Ben oui, y a qu’à voir Élisée Reclus, le marcheur infatigable qui disait « l’anarchie est la plus haute expression de l’ordre » ou encore «  voter c’est abdiquer » ! Un vrai marcheur et pas qu’en milieu urbain d’ailleurs !
Et en marchand, on voit plein de trucs, on peut aller en manif ou au cinéma… Et penser à de futures BD… Il faut bien vivre !

En prélude des chroniques rebelles
Rediffusion de l’émission en compagnie des éditions Nada puisque nous recevons aujourd’hui l’un des auteurs de BD chez Nada, David Snug pour sa nouvelle BD Marche ou Grève.
Nous commençons avec trois livres, des textes jusqu’à maintenant inédits, des voix de femmes qui, depuis le tournant du XIXe au XXe siècle, ont gardé une acuité remarquable et résonnent de façon exemplaire avec les luttes féministes et sociales contemporaines. Ni dieu ni patron ni mari, des extraits du premier journal féministe anarchiste édité en Argentine : La Voz de la mujer. Puis des textes choisis de Teresa Claramunt sous le titre Femmes unissons-nous, des analyses profondes et critiques sur la situation des femmes. Teresa Claramunt, ouvrière anarchiste, syndicaliste et pionnière du féminisme espagnol, ne se borne pas dans ses textes à de simples constats, mais elle revient aux causes de la domination patriarcale, liées bien évidemment à la domination capitaliste. Les textes sont lus par Sandrine Malika Charlemagne.
Ni dieu ni patron ni mari : extrait de La Voz de la mujer
Femmes unissons-nous de Teresa Claramunt : À propos des femmes. « Tenues à l’écart de toutes les luttes politiques »…
Enfin le troisième ouvrage, Je n’ai rien à perdre que mes chaînes de Mollie Steimer. Suite de témoignages sur la prise de conscience d’une adolescente russe arrivant aux Etats-Unis, son engagement en tant que militante anarchiste, puis son retour en Russie et sa désillusion à propos du gouvernement bolchevique qu’elle considère « comme le pire ennemi de la Russie [où] l’espionnage éclipse toute pensée, tout effort créatif et toute action. » La force des textes de Mollie Steimer annonce la publication des trois textes publiés en 1929 sous le titre, Vers l’autre flamme, de Panaït Istrati, avec La Russie nue de Boris Souvarine et Soviets 1929 de Victor Serge. Il faut souligner le courage des textes de Mollie Steimer dans une période où la propagande soviétique dominait pour une large part la gauche depuis 1917.
Je n’ai rien à perdre que mes chaînes de Mollie Steimer
« La Russie d’aujourd’hui est une grande prison dans laquelle un individu suspecté de ne pas adhérer pleinement au régime communiste est espionné, puis arrêté par le Guépéou (la Tchéka) comme ennemi du gouvernement. Personne ne peut recevoir de livres, de journaux ni même une simple lettre de sa famille sans que ces documents soient contrôlés par un censeur. Cette institution qui s’efforce de dissimuler toute information préjudiciable aux bolcheviques est à présent mieux structurée, et plus stricte, que le célèbre cabinet noir du tsar Nicolas II. Malgré toutes les difficultés que j’ai dû affronter en Russie, j’ai été profondément attristée de devoir m’expatrier. Ce n’est pas ce que j’avais ressenti en quittant les États-Unis, même si j’y ai toute ma famille, de bons camarades et beaucoup d’amis très chers. Lorsque j’ai été expulsée par le gouvernement capitaliste, j’avais le cœur léger. Ce n’est pas dans cet état d’esprit que j’ai quitté la Russie. Je ne me suis jamais sentie aussi déprimée que depuis cette condamnation à l’exil. Mon amour pour ce pays et pour son peuple est trop profond pour que je me réjouisse d’être une exilée, surtout à un moment où les Russes subissent des souffrances extrêmes et une persécution terrible. Je préférerais au contraire être sur place et contribuer, avec les ouvriers et les paysans, à briser les chaînes de la tyrannie bolchevique. L’anarchisme… »