Chroniques rebelles
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La lutte des femmes en Iran : Ni shah ni mollahs !
Solidarité avec les résistant.es

Conférence et exposition du 30 avril à la mairie du 5ème arrondissement de Paris

Plus de 800 personnes ont été exécutées en Iran en 2023, des exécutions visant à décourager de futurs soulèvements et toute velléité de révolte.
Le système judiciaire iranien organise des procès fictifs contre toute forme d’opposition. En 2022, le peuple iranien a de nouveau revendiqué un changement de régime et la libération des prisonniers et prisonnières politiques.

Trois interventions durant la conférence du 30 avril (extraits) :
Maryam Radjavi, présidente du Conseil National de la Résistance iranienne : Femmes Résistance Liberté !
Sara Nouri, avocate.
Amytis, étudiante.

La Fleur de Buriti
Film de Joao Salaviza et Renée Nader Messora (1er mai 2024)

Un récit sur le massacre des Indiens en Amazonie raconté en forme d’épopée, accompagné dès le départ par un chant incantatoire pendant qu’une jeune femme accouche de son bébé et qu’une enfant est hantée par des cauchemars prémonitoires de la catastrophe. À travers le regard et les visions de sa fille, un Indien parcourt trois époques de l’histoire de son peuple indigène, au cœur de la forêt brésilienne. Un peuple pacifique, guidés par l’amour de la terre, le respect de la nature, pratiquant ses rites ancestraux, voit son respect de l’autre et son amour de la liberté piétinés lorsqu’arrivent les Européens avides de profits rapides. Ces derniers ne se soucient guère du peuple, de ses coutumes, de la faune et de la forêt…
Ce qui importe à ces grands propriétaires envahisseurs, c’est voler, exploiter des terres et massacrer les peuples qui y vivent. Les cauchemars de la fillette sont en fait des augures. C’est la triste histoire de la spoliation des terres indiennes qui se perpétue, encouragée récemment par Bolsonaro, mais qui semble se poursuivre depuis son départ. La fleur de Buriti, une fleur rouge, c’est la seule chose qui leur reste…
Les "cupe" (les étrangers) apportent la mort et ils ne donnent jamais rien pour rien, comme cette vache offerte la veille du massacre du village endormi après la fête. Le fils du propriétaire et ses sbires tuent par balles ou à la machette tout le monde, y compris les enfants, les bébés. Puis mettent le feu au village. Les militaires gouvernent le Brésil, alors tout est à craindre. « Si vous partez » disent les femmes aux hommes qui vont travailler dans les mines, « c’est certain ils nous massacreront ». Les décrets et les lois sur les territoires autonomes ne sont pas respectés malgré les associations de défense. Pourtant de nouvelles formes de résistance s’organisent, contre le vol d’animaux sauvages, de perroquets et de leurs œufs par des braconniers. « Pourquoi tu nous voles ? » demande une femme à un braconnier. La réponse est évidente, il n’y pas de risque avec un peuple pacifique.

La Fleur de Buriti est à la fois documentaire — le film nous immerge dans le quotidien d’un village avec ses coutumes — et une grande épopée indienne. La prise de conscience de certain.es passe par le dédoublement : « Mon esprit s’envole et je vois des choses. Les esprits apparaissent. » En même temps, il devient nécessaire de transmettre leur histoire et de se rassembler face aux meurtres et aux prédateurs de terres. C’est la grande réunion à Brasilia où les peuples se retrouvent.
Cette épopée documentaire est un cri d’alarme, car si l’on pense aux massacres d’oiseaux au XIXe siècle, conté dans le magnifique documentaire de Jacques Lœuille, Birds of America (2022), des oiseaux disparus et peints à l’époque par Jean-Jacques Audubon, on peut tout craindre en ce qui concerne l’Amazonie. De même le film d’Ana Vaz, I, qui montrait les bêtes sauvages errant dans la ville de Brasilia, malades et en mal de nourriture et de territoires. De quoi réfléchir aux conséquences de l’élevage intensif…
La Fleur de Buriti de Joao Salaviza et Renée Nader Messora en salles depuis le 1er mai.

Le Silence de Sibel
Film de Aly Yeganeh (1er mai 2024)

Sinjar, août 2014. La ville des Yezidis, dans le Kurdistan irakien, est envahie par Daech. Les hommes de l’État islamique considèrent les Yézidis comme des hérétiques et leur arrivée est prétexte à des massacres, des tortures, des viols. Cette extermination systématique, nous rappelle Aly Yeganeh, est « ethnico-confessionnelle [et] sera reconnue des années plus tard par les Nations-Unis comme un génocide. »
Sibel rentre chez elle après une cueillette de pommes, entend les supplications de sa mère et est témoin du massacre de sa famille tandis que les bourreaux, visages en gros plan, hurlent « mort aux mécréants ! ». La fillette est enlevée, comme de nombreuses adolescentes et femmes, pour être abusée et violée par ses tortionnaires. Cette première séquence, vécue par les yeux d’une fillette de 13 ans, resurgit inlassablement, découpée en flashbacks, au gré des cauchemars de Sibel.
C’est contre une rançon que Hana, fille d’un propriétaire terrien kurde vivant en France, a réussi à arracher la fillette à cette horreur pour la ramener en France et l’adopter : « sa vie a été un calvaire [dit-elle]. Cela fait deux mois que j’ai accueilli Sibel, au début elle ne me faisait pas confiance… Je pensais l’aider à oublier et à se reconstruire, mais après ce qui s’est passé à la mer, j’ai peur. » La veille, Sibel est entrée dans les vagues pour anéantir les images lancinantes qui l’assaillent sans cesse, rejoindre sa famille dans un autre monde. Durant sa captivité, elle a tenté de se suicider à plusieurs reprises, ne s’est pas lavée pour éloigner ses bourreaux, qui finalement se sont lassés d’elle. « Sibel, c’est une vie sacrifiée, c’est l’histoire d’une enfance volée, comme d’ailleurs des milliers d’autres. Pour seule défense, elle décide de ne pas parler. Le silence de Sibel est l’histoire de la destruction d’un peuple parce que sa foi n’est pas celle de ses bourreaux. Il s’agit d’un génocide programmé dont l’une des armes est le viol systématique des femmes et des filles. […] J’ai choisi délibérément de ne pas montrer cette horreur, l’acte lui-même. »
C’est par la bande son et les brefs flashbacks que l’on perçoit la violence et, pire, qu’on l’imagine. Sibel reste silencieuse, appelle intérieurement sa mère dans sa langue, parle aux oiseaux et leur demande de porter ses nouvelles à sa mère, revoit son père au moment de l’assassinat. À l’orthophoniste qui l’incite à parler en français, elle oppose le silence et dit finalement en kurde « je viens de l’enfer ».
Brefs flashbacks de la violence, elle se réveille en criant « ils sont là ! » Sibel est enceinte de quatre mois, mais « on ne peut rien faire dans l’état actuel de la loi ». Aucune dérogation dans ce cas ? Non, pourtant, il en va de la santé mentale de la mère et de l’enfant. Sa mère apparaît à Sibel lui demandant de laisser l’enfant naître. L’enfant naît, mais Sibel refuse de le voir : « j’ai fait comme je te l’ai promis. Mes amis les oiseaux sont partis et je dois partir. »
Le Silence de Sibel de Aly Yeganeh est sur les écrans depuis le 1er mai.

Une Affaire de principe
Film d’Antoine Raimbault (avec Céleste Brunnquell) (1er mai 2024)

Adapté de Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe de José Bové, en collaboration avec Gilles Luneau, le film plonge en pleine réalité, mais cette fois dans un autre facette du profit, le pouvoir et la corruption.
Bruxelles, 2012. Quand le commissaire à la santé est limogé du jour au lendemain, dans la plus grande opacité, le député européen José Bové et ses assistants parlementaires décident de mener l’enquête. Ils vont alors découvrir un véritable complot menaçant de déstabiliser les instances européennes, jusqu’à leur sommet. Tiré de faits réels, le film est un vrai thriller dans les locaux du Parlement européen, avec cette idée que le pot de terre ne peut pas grand chose contre le pot de fer. Parce que ces lobbys sont très puissants et très méfiants.
Il y a donc le bouquin de José Bové, avec son humour et sa volonté de montrer ce qu’est l’Union européenne. Député européen, est-ce un sport de combat ? Il faut le croire, parce que « à travers des cas concrets vécus au quotidien, José Bové livre la réalité des couloirs de Bruxelles : batailler pour l’indépendance des agences de contrôle infiltrées par les multinationales, révéler un complot de l’industrie du tabac contre la directive sanitaire en préparation, défendre les paysans face à la politique agricole commune instrumentalisée par les firmes agroalimentaires et agrochimiques, fédérer la lutte contre l’exploitation des gaz de schiste en Europe, dénoncer les accords de libre-échange...
Le livre braque aussi le projecteur sur les connivences dont bénéficient, au plus haut niveau de l’organigramme administratif, les lobbyistes de l’industrie. En s’appuyant sur des exemples précis et documentés, José Bové décrypte les mécanismes de prise de décision, les bras de fer avec la Commission européenne, les logiques des États.
 »
Et il y a aussi Bouli Lanners en José Bové, un double tout à fait réussi, Céleste Brunquell, toujours aussi étonnante, cette fois en stagiaire décidée à secouer les choses, et qui nous guide dans les méandres du pouvoir et des bureaux, avec facétie. Enfin, il y a le rythme du film qui ne laisse pas le temps de souffler, entraînant une brochette impressionnante de comédien.nes tout à fait crédibles et à l’aise dans ce dédale du pouvoir. Pour la blague de fin, que je ne révèlerai pas, très chouette rebondissement et belle surprise.
Les Lobbies de la clope ? On se souvient que Margaret Thatcher a été recrutée par Philip Morris pour la somme de 250 000 dollars par an et une contribution annuelle de 250 000 dollars pour sa fondation pour un total d’un million de dollars comme « consultant géopolitique ».
Une Affaire de principe d’Antoine Raimbault au cinéma depuis le 1er mai.

Le Tableau volé
Film de Pascal Bonitzer (1er mai 2024)

Chef d’œuvre disparu, une toile d’Egon Schiele est retrouvée dans le grenier d’un ancien collabo de la gestapo, près de Mulhouse. Cette toile que l’on croyait détruite par les nazis, au prétexte d’art dégénéré, est signalée à un commissaire-priseur, André Masson, qui tout d’abord est circonspect et soupçonne un faux. Accompagné par sa collègue et ex-femme, il se rend toutefois chez la famille du jeune ouvrier chimiste, ayant acquis le pavillon et son contenu en viager, et tous deux découvrent avec étonnement et émerveillement les tournesols d’Egon Schiele d’après le modèle du tableau de Van Gogh. Le tableau, spolié par les nazis en 1939 à un collectionneur juif, est bien authentique et sa découverte est pour le commissaire-priseur une réussite professionnelle exceptionnelle. C’est aussi le début de transactions complexes dans le monde des ventes d’art où finalement tous les coups sont permis.
L’histoire est inspirée par l’affaire réelle de la découverte du tableau d’Egon Schiele et de la vente record qui a suivi. Mais auparavant, le film retrace ies deals et autres manigances entre les experts et les galeristes, les héritiers et les représentants légaux, qui s’avèrent des plus compliquées. D’autant que des rumeurs circulent sur la médiocrité de l’état de la toile elle-même, histoire de dévaloriser l’œuvre afin de l’obtenir, sans qu’elle soit mise aux enchères et contourner ainsi les marchandages entre les différentes parties. Dans la course au profit au sein du marché de l’art, les pièges se multiplient. Pour les déjouer, Aurore, une stagiaire, qui ne supporte pas André dans un premier temps, et son ex, ne seront pas de trop pour aider à réussir malgré tout cette vente.
On peut regretter que la critique de ce milieu de l’art et investissements soit peut-être trop légère, si l’on songe par exemple au film de Kaouther Ben Hania, L’Homme qui a vendu sa peau. Quand même, le jeune homme découvreur du tableau ne sera pas lésé finalement.
Le Tableau volé de Pascal Bonitzer est au cinéma depuis le 1er mai.

La Planète sauvage
Film de René Laloux (1er mai 2024)

Sur la planète Ygam, vivent des androïdes géants appelés les Draags. Ils élèvent de minuscules êtres humains qu’ils surnomment Oms. Mais un jour, l’Om de la jeune Tiwa se révèle plus intelligent et va déclencher une révolte…
Prix spécial du jury du Festival de Cannes en 1973, La Planète sauvage est le premier long-métrage de René Laloux. Véritable chef d’œuvre du cinéma d’animation, le scénario s’inspire librement du roman Oms en série de Stefan Wul. À partir des dessins de Roland Topor, qui a co-écrit le film, les images sont créées au sein du célèbre studio Kratky Film de Jiri Trnka, maître tchèque de l’animation en volume, à Prague. La musique, composée par Alain Goraguer, est également sublime.

Même si tu vas sur la lune
Film de Laurent Rodriguez
(nous en avons parlé le 20 avril, mais le film vaut que l’on ajoute quelques mots )

Sara, Hasan, Ghaith et Khairy étudient à Paris après avoir quitté la Syrie il a six ans. Ils et elle ont le statut de réfugié.e, Dans la maison de campagne de leur ami, Emmanuel, également leur professeur à l’Université de Paris 1, les voilà qui se souviennent de leur vie d’avant, du voyage et des débuts du nouveau départ en France. Ce film, Laurent Rodriguez décide de le réaliser avec Sara, Hasan, Ghaith et Khairy : « un film “avec” eux, pas un film “sur” eux. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, beaucoup parlé, beaucoup réfléchi. Un lien très fort s’est ainsi tissé entre nous. Progressivement, s’est installée l’idée qu’ils participeraient directement à la fabrication du film. Khairy a contribué à la musique, Ghaith a traduit les séquences en arabe, et Sara a réalisé les animations. »
Le film est la rencontre de quatre personnes parmi les quatre millions de Syrien.nes déplacée.es, une façon de raconter leur histoire particulière et de poser la question sur les changements de repères, d’identité, sur l’évolution de chacune et chacun dans leur nouvelle vie. Laurent Rodriguez réussit un premier film original, généreux et partagé…passionnant sur l’exil.
Même si tu vas sur la lune de Laurent Rodriguez est en salles.

Un Homme en fuite
Film de Baptiste Debraux (8 mai 2024)

Rochebrune est au bord du chaos. Johnny, leader du mouvement de protestation de la ville, a disparu après avoir braqué un fourgon. Lorsque Paul apprend la nouvelle, il revient dans sa ville natale pour retrouver son ami d’enfance avant la police. Anna Werner est aussi de cette ville, mêmes origines sociales, et en tant que commissaire, son enquête lui fait peu à peu découvrir ce qui lie les deux hommes et Charlène. Deux amis proches et à la fois bien différents. Paul veut s’échapper de son milieu, vit mal ses espoirs déçus, « tandis que Johnny, lui, ne se pose pas ces questions. Mais il ne s’agissait pas d’en faire deux caricatures [confie le réalisateur] : l’intellectuel myope qui suivrait à la trace son pote musclé qui ne réfléchit pas. Simplement, Johnny s’inscrit beaucoup plus dans le présent et dans le concret, en raison de son histoire. » Johnny est devenu presque un mythe et le film se découpe entre aujourd’hui, en plein conflit social, grève générale, discussions syndicales et bras de fer avec la direction, et avant avec sa mère paumée.
Le film démarre sur une course dans la forêt que suit la caméra. Johnny est blessé. Le braquage du fourgon a dû mal se passer. Grève générale à la fonderie depuis deux mois. Incendie à la mairie, le maire soupçonné de corruption pour avoir touché des pots de vin afin d’accélérer la fin de la grève.

Flashback en 2003. L’ancienne chambre avec The Barber et The Outsiders, puis retour au présent. La grève : « ce genre de situation sociale donne lieu à extrêmement de tension, y compris entre ouvriers et syndicalistes, comme je le montre dans le film. Qui a raison ? Qui défend le mieux la cause ? Celui qui estime qu’elle est perdue et suggère de partir avec une prime, ou au contraire celui qui incite à ne pas céder, à se battre, avec l’espoir de la victoire ? J’ai essayé de ne pas prendre ce sujet à la légère, et de ne pas tomber, ni dans l’angélisme, ni dans le jugement, mais d’être à la hauteur des personnages. Il fallait rendre compte de leurs conflits internes avec justesse et sensibilité. Et le romanesque permet d’être dans l’excès, tout en étant respectueux de ces questionnements- là. L’excès, ça permet de créer Johnny, ça permet de dire : lui il a tranché, il a brûlé une mairie, braqué un supermarché, un fourgon ». Tout se mélange, les deux amis qui se retrouvent, la fin du mouvement ouvrier, le désespoir qui se transforme en rage, l’île secrète, la mère enterrée, l’argent du braquage et sa réappropriation par les ouvriers… Johnny devient le symbole de la lutte sur le drapeau noir.

La Mémoire éternelle
Film de Maité Alberdi (8 mai 2024)

Augusto Góngora, journaliste chilien, grand chroniqueur des crimes du régime Pinochet, et Paulina Urrutia, actrice, activiste et politicienne, forment un couple amoureux et soudé depuis plus de 20 ans.
Il y a huit ans, il a été diagnostiqué Alzheimer. La réalisatrice Maité Alberdi retrace, à travers un montage mêlant mémoire historique et mémoire intime, l’histoire du couple Augusto-Paulina, très connu du public chilien. « Pendant la dictature, il a joué un rôle décisif, en participant à un bulletin télévisé clandestin, intitulé Teleanalisis, qui rendait compte de ce qui se passait réellement dans le pays, alors que les autres médias populaires pratiquaient la désinformation. Avec ses collègues journalistes, ils allaient dans les rues pour filmer les événements et interviewer les gens. Ces vidéos étaient diffusées sous le manteau dans le monde entier. [Comme le rappelle Maité Alberdi], ces images constituent les principales archives sur la dictature au Chili. Augusto est à l’initiative de ce qui forme aujourd’hui la mémoire visuelle du pays ». En effet, durant toute sa vie et sa carrière de journaliste, Augusto Góngora s’est engagé pour préserver la mémoire des événements, des crimes du régime, des disparu.es depuis le coup d’État de Pinochet, et il se retrouve soudain dans une lutte désespérée pour conserver son identité. La mémoire des êtres et des événements lui échappe à certains moments, provoquant une tension intense où il se sent seul et abandonné, bien que sa compagne soit toujours extraordinairement présente, lui rappelant les faits, les ami.es, les visages estompés ou oubliés. Les moments doux et amoureux succèdent aux moments d’angoisse lorsqu’il perd ses repères et oublie même qui il est. La Mémoire éternelle est aussi une histoire d’amour et de complicité.
« Un jour [raconte la réalisatrice], on m’a engagée pour faire une conférence à l’université où Paulina exerçait, en tant que directrice de la faculté de théâtre. Pendant qu’elle faisait un exposé, j’ai remarqué Augusto dans la salle. Il souffrait déjà de la maladie d’Alzheimer et j’ai vu comment Paulina intégrait la maladie à sa vie personnelle et professionnelle. Augusto ne restait pas assis à la maison : il l’accompagnait à son travail et elle le laissait participer et même l’interrompre, sans être embarrassée. Au contraire, elle appréciait sa compagnie. Je n’avais jamais vu une personne atteinte de démence, faire autant partie de la vie de quelqu’un qui la soigne. »
Ce « puzzle mémoriel » comme le nomme Maité Alberdi, loin des canons narratifs habituels, passe d’une époque à l’autre, évoque la dictature, la lutte et la répression, — tant de morts, d’ami.es enlevé.es, torturé.es, abattu.es —, car le travail d’Augusto a accompagné deux moments distincts de l’histoire du Chili. Après la dictature, il animé des programmes culturels en tant que producteur et auteur, notamment sur l’histoire du pays et sur la création artistique locale. Il y a cet entretien avec un réalisateur à qui il pose cette question
« En fait, vous voulez ressusciter les morts ? » Réponse du réalisateur : « c’est ce qui m’a poussé à faire du cinéma. » Mais il a poursuivi son but de reconstruire la mémoire du pays, même celle des atrocités. Le coup d’État, la répression terrible des trois premières années…
« Tu te souviens de José Emmanuel ? » demande Paulina, « oui, répond Augusto, il a été égorgé en public. » Mais « nous avons gagné ! » Puis, c’est le retour aux souvenirs personnels, le voyage dans les glaciers, le mariage… Et soudain, le gouffre de l’oubli et des séquences de désespoir : « Mes livres comptent tant pour moi. Ce sont mes amis ». Paulina, qui prend aussi la caméra à certains moments privés, lui lit une dédicace magnifique ancrée dans la mémoire essentielle : « La mémoire est une semence », un livre qu’il a mis 6 ans à finaliser : « Reconstruire la mémoire, la mémoire émotionnelle », comme la mémoire historique pour rencontrer à nouveau le peuple.

Le montage tient une place importante, construit le récit de cette reconstitution politique et amoureuse. Le couple a traversé l’histoire du pays et les archives, tant des actualités politiques que les archives familiales, se croisent, s’accrochent les unes aux autres pour former un maillage très original de la petite et grande histoire. « Le concept de mémoire est vaste. Je pense [souligne Maité Alberdi] que le film en montre les résidus, quand on a tout oublié. Il montre que l’identité d’une personne ne se perd jamais. Jusqu’au bout, Augusto conserve sa personnalité. Il n’a jamais oublié certains événements historiques douloureux et il continue d’aimer, même quand il semble ne pas se souvenir. Le corps se souvient. C’est un film sur ce qui reste... […] Qu’est-ce qu’on montrait du passé des personnages et dans quelle proportion ? Comment construire leur identité individuelle et leur identité de couple, dans le passé, le présent et le futur ? Comment représenter une mémoire infinie ? » Sur ce point, la réponse d’Augusto : « Il est très important de reconstituer la mémoire, non pas pour rester figés dans le passé, mais parce que nous pensons que cet acte a du sens pour l’avenir. Cette démarche permet de mieux nous connaître, de prendre conscience de nos difficultés et de nos faiblesses, afin de les surmonter et de pouvoir affronter pleinement l’avenir. C’est important de souligner que la reconstitution de la mémoire ne se limite pas à un acte rationnel ou statistique. Je crois que les Chiliens ont également besoin de recouvrer une mémoire émotionnelle, précisément parce que ces années ont été si difficiles, traumatisantes et pleines de sou rance. Nous éprouvons aussi le besoin de nous reconnecter à nos émotions, d’accepter la douleur et d’entamer un processus de deuil  ».
La Mémoire éternelle de Maité Alberdi est au cinéma le 8 mai.

Un Jour fille
Film de Jean-Claude Monod (8 mai 2024)

Un jour fille s’inspire de l’histoire bouleversante d’Anne Grandjean, née intersexe, et de son procès au XVIIIe siècle... Anne, déclarée fille à sa naissance par le curé du village, celui-là même qui lui enjoint de changer d’habit et de sexe à l’adolescence du fait de son attirance pour les femmes. Mais cette transformation en Jean-Baptiste devient vite invivable au village pour le jeune homme qu’il est devenu. Harcelé, moqué, il part sur les routes et rencontre une troupe de théâtre ambulant. Mais s’il y est parfaitement accepté, il choisit de s’établir à Lyon et tombe amoureux de la fille de son patron. Il se marie, mais une personne de son passé le découvre et le dénonce.
Depuis la naissance d’Anne/Jean-Baptiste, c’est en fait l’autorité religieuse — le curé de la famille Grandjean — qui décide de son identité, d’abord du sexe du bébé, puis l’exhorte à en changer à l’adolescence après la confession de ses pulsions.
À Lyon, dénoncé comme étant un « hermaphrodite, Jean-Baptiste est jeté en prison, examiné par les médecins, puis jugé et condamné par la justice en tant que femme : les médecins l’ont en effet classé comme femme, si bien qu’en épousant une autre femme, Jean-Baptiste/Anne, aurait donc profané les liens du mariage. L’église et la justice rejoignent la médecine, et ces trois instances phares du moment s’emparent de ce cas pour le transformer en une affaire exemplaire ».
Une affaire exemplaire au XVIIIe siècle, mais qui a bien des échos aujourd’hui si l’on considère que c’est un mariage homosexuel, des siècles avant le mariage pour toutes et tous. Comme le souligne Jean-Claude Monod, « pour la justice et l’église, Anne doit être condamnée car elle se savait femme et a trompé son monde pour épouser une autre femme, profanant ainsi le mariage. En écoutant certains des termes du procès, il existe une certaine stabilité avec ce qu’on a pu entendre, parfois, au moment de la loi sur le mariage pour toutes et tous – l’ancien pape Benoît XVI pouvait encore dire que la légalisation du mariage homosexuel était le signe de l’avènement de l’Antéchrist ! Bien sûr, le contexte a énormément changé, mais l’effet d’actualité est celui-là : une structure persistance qui empêche de voir le couple comme composé autrement que d’un homme et d’une femme, le retour de certaines violences homophobes, une certaine panique, parfois, face à l’évolution des “rôles” sexués... » C’est sans doute la perspective apportée par le film qui pousse à la réflexion sur les mentalités et leur évolution. Qu’est-ce que la normalité aujourd’hui ? Sommes-nous dégagé.es des apriori sexuels et sociaux ?
De très belles images pour ce premier long métrage de Jean-Claude Monod, qui dit avoir été inspiré par le cinéma de Wong Kar-wai, auxquelles s’ajoute l’interprétation fine et sensible, tout en ambivalence, de Marie Toscan. En revendiquant le caractère politique de son film, il soufaite que « cette histoire pourra aussi être un vecteur d’ouverture et de liberté : celle qui devrait permettre à tout un chacun de vivre librement comme il l’entend, de ne pas se voir imposer de normes qui détruisent un amour, un couple, voire des vies. » Vu l’homophobie dans beaucoup de pays et les opérations effectuées sur les enfants intersexué.e.s bien avant qu’iels puissent exprimer leur choix de l’un ou l’autre genre, le film porte certainement une réflexion sur cette question.
Un Jour fille de Jean-Claude Monod sera en salles le 8 mai.

Film annonce d’un film qui n’existera jamais
« Drôles de guerres »

Film de Jean-Luc Godard (8 mai 2024)

Comment décrire ces notes pour un film en devenir, une progression de la création, un film comme un de ces carnets d’artistes qui disent beaucoup et fascinent par le décousu en roue libre des idées jetées sur des images ou des sons. « Jean-Luc Godard transformait souvent
ses synopsis en programmes esthétiques. Drôles de guerres procède de cette tradition, et restera comme un ultime geste de cinéma, qu’il accompagne du texte suivant : “Ne plus faire confiance aux milliards
 de diktats de l’alphabet pour redonner leur liberté aux incessantes métamorphoses et métaphores d’un vrai langage en re-tournant sur les lieux
 de tournages passés, tout en tenant conte des temps actuels.” »
En parlant du cinéma de Godard, et en particulier de son film, Une femme mariée, Henri Langlois disait : « Tout d’un coup, ce sont les acteurs qui jouent. Il se passe quelque chose. Ils ne sont plus les mêmes. Ils ont l’air de nager un peu mais ils sont beaucoup plus authentiques. Ils sont beaucoup plus présents plutôt qu’authentiques puisqu’on leur a dit d’improviser. Ils n’ont plus de textes à dire. Vous voyez tout de suite la différence. C’est ça ! Nous allons vers un cinéma plus direct ! Qu’est-ce que vous voulez, quand vous écrivez un livre, vous prenez une plume, une feuille de papier. Le cinéma est désormais tout près du temps où l’on prendra une plume et une feuille de papier ! »
« Jean-Luc était très technophile [ajoute Nicole Brenez]. Il était passionné par l’arrivée de nouveaux instruments et les accueillait avec toujours beaucoup d’intérêt. Il a été l’un des premiers à acquérir une caméra vidéo, par exemple. […] D’une certaine façon la technologie allait dans son sens, c’est-à-dire dans le sens d’une image, qui s’indexe sur la liberté d’une main qui court avec un stylo sur un papier, plutôt qu’une grosse Mitchell 35 mm pour laquelle il faut quatre personnes à la manœuvre. [Donc, pour lui,] la transformation d’une maison de vie en studio de travail. C’était l’alliance parfaite, l’harmonie, entre le fait de penser tout le temps et le fait de pouvoir travailler tout le temps. »
Présenté à la suite de cet essai, Notre Musique, autre film de Jean-Luc Godard (2004), est divisé en trois parties : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. L’enfer est composé de d’images de guerre, sans ordre chronologique où se succèdent, en noir et blanc et en couleurs, des tanks, des navires de combat, dévastations, explosions, fusillades, exécutions, populations en fuite et villes détruites. Des images muettes, accompagnées de quatre phrases et de quatre musiques au piano.
Le purgatoire est d’une durée plus logue et se déroule dans la ville de Sarajevo à l’occasion des Rencontres Européennes du Livre. Conférences, conversations à propos de la poésie, de l’image de soi et de l’autre, de la Palestine et d’Israël, et visite au pont de Mostar en reconstruction.
Le paradis est d’une durée d’environ dix minutes. Une jeune femme, vue dans la deuxième partie, est sur une petite plage, gardée par quelques Marines états-uniens.
Film annonce d’un film qui n’existera jamais. « Drôles de guerres » et Notre Musique, deux films de Jean-Luc Godard en salles le 8 mai.

Théâtre : Frida de Paola Duniaud
Qui est Frida ? Peintre mexicaine née au tout début du XXe siècle, son style particulier, son imaginaire, sa liberté et sa détermination en fascineront plus d’une et plus d’un. Devenue icône sans le vouloir, elle est devenue égérie LGBTQI++, mais a aussi été récupérée par un monde qu’elle a critiqué et transgressé.
Pour Paola Duniaud, autrice et metteure en scène de Frida, « son rapport à l’amour déconstruit, sa bisexualité, son rapport aux corps et son indépendance en tant que femme dans un milieu d’hommes », résonne clairement avec notre époque actuelle.
6 comédiens et comédiennes se partagent les rôles de personnes importantes de la vie de Frida — 6 ? On ne sait plus par ce qu’on dirait qu’ils et elles sont le double sur scène ! —, hormis Anna Lorvo, qui incarne Frida. Le décor est simple, inventif et tournoyant avec un rythme qui ne ralentit à aucun moment pour traverser la vie de cette femme passionnée. Avec une journaliste-narratrice qui tient un peu le rôle de coryphée dans les étapes du récit.
Frida de Paola Duniaud
À la Manufacture des Abbesses jusqu’au 20 mai
Du lundi au mercredi à 21h et le dimanche à 20h
7 rue Véron 75018 / Paris Métro Abbesses ou Pigalle
Réservations au 01 42 33 42 03 ou public@manufacturedesabbesses.com