Chroniques rebelles
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Racismes d’Etat. Etats racistes
Une brève histoire

Olivier Le Cour Grandmaison (éditions Amsterdam)

En introduction de l’ouvrage est rappelée la plainte de Jean-Michel Blanquer contre le syndicat Sud ayant osé mettre en lumière et en débat le « racisme d’État » au cours d’un stage syndical. Si la plainte a été jugée irrecevable par le Tribunal de Bobigny, le 7 février 2018, cela n’a pas freiné pour autant l’indignation qui a suivi à l’encontre du syndicat Sud et d’une « gauche dévoyée », indignation relayée par de nombreuses personnalités politiques, médiatiques et académiques. Un débat considéré comme une atteinte à la « mythologie nationale » ?! Ces réactions illustrent bien, comme le souligne Olivier Le Cour Grandmaison, « l’involution de la situation politique et la dégradation significative des conditions indispensables au bon déroulement des débats ». Pour preuve, les « procès intentés non plus seulement par les extrêmes droites, mais aussi par les responsables politiques soi-disant modérés et des intellectuels pour disqualifier les études consacrées aux discriminations systémiques. » Menace non déguisée vis-à-vis de celles et ceux qui auraient une perspective différente, une autre analyse des tendances actuelles sociales et politiques.
« Apporter des réponses précises » à une offensive généralisée, c’est ce que propose l’ouvrage d’Olivier Le Cour Grandmaison, Racismes d’Etat. Etats racistes.

Olivier Le Cour Grandmaison est l’auteur, notamment, de Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (Fayard, 2005), La République impériale. Politique et racisme d’État (Fayard, 2009), De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français (Zones/La Découverte, 2010), L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (Fayard, 2014) et « Ennemis mortels ». Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale (La Découverte, 2019).

Olivier Le Cour Grandmaison présente son livre à Publico ce samedi 22 juin à 16h30

León
Film de Andi Nachón et Papu Curotto (26 juin 2024)

Prologue, Julia et Barby s’aiment et tiennent un restaurant. Lorsque Barby meurt brutalement, Julia est complètement désarçonnée par le drame, « à 40 ans, on ne pense pas à la mort ». L’amour s’effondre et les conséquences sont d’autant plus douloureuses que Julia et Barby vivaient en couple sans être mariées, elles avaient fondé ce restaurant et y travaillaient ensemble, donc Julia s’attache à maintenir leur projet face aux difficultés. Au sentiment immense de perte de l’être aimée, s’ajoute l’attachement de Julia pour Leon, le fils de Barby, qu’elle chérit comme son propre enfant. Or, à la disparition de Barby, sa mère, Deborah, et grand-mère de Leon, se déclare prête à s’occuper de l’adolescent, arguant de ses liens filiaux « prioritaires » et, autre surprise, le père géniteur, absent depuis toujours, pourrait revendiquer légalement le droit de garde.

Un film très intéressant qui sort dans le contexte du retour de la droite en Argentine. La disparition dramatique de Barby fait en quelque sorte tomber des masques et révèle des jugements jusque là passés sous silence sur l’union amoureuse de deux femmes et sur les recompositions familiales différentes et « hors les règles » habituelles. La disparition d’une compagne, abîme de désarroi pour Julia, le chamboulement qui s’opère ensuite dans les rapports, révèlent une lutte autour des droits de l’enfant, entre Deborah, qui n’a pas su donner un foyer à sa fille Barby et semble vouloir se rattraper sur son petit-fils, et le père, absent, mais en droit de réclamer la garde de Leon. Tout cet imbroglio se situant dans une situation sociale et politique menaçante. Au milieu de la controverse, Leon est presque le sage de l’histoire, et semble bien moins troublé que les adultes. Une belle étude sur la famille et le déchirement de l’absence.
Leon de Andi Nachon et Papu Curotto à voir le 26 juin au cinéma.

In Water
Film de Hong Sangsoo (26 juin 2024)

Un film sur une île au Japon… Trois personnages : un comédien qui s’imagine réalisateur et place ses économies dans le projet d’un court métrage, mais manque d’inspiration, une comédienne et un jeune homme qui travaille dans la production. Pas de script ni d’idées bien définies, qui en fait accompagnent le flou de l’image comme le reflet de ce projet en gestation.
Dans un premier temps, le choix du flou est quelque peu déconcertant pour le public, rien n ‘indique que c’est voulu, et pourtant les sous-titres ne sont pas flootés. Il y a d’abord ce plan du ramassage de fruits de mer, et soudain émerge l’idée du film en Working process à trois, dans la cuisine, qui, à la fois brouille les pistes, suggère et alimente la réflexion. C’est quoi faire un film ? Pourquoi et comment ?
« Je veux savoir si j’ai de la créativité » dit l’un des protagonistes. Là bien sûr est la question. Un test de créativité, la gestation d’un film, le processus de tournage d’un court métrage à partir de rien, sinon l’envie de faire du cinéma et dépasser sa frustration ? L’actrice dans la nuit, la musique s’arrête CUT. Entrer dans la mer et disparaître ou bien une autre façon de dire : allez-y ! Faîtes du cinéma…
In Water (Dans l’eau) de Hong Sangsoo, une belle expérience plastique, — cinéma ou peinture ? —, en salles le 26 juin.

L’Expérience Zola
Film de Gianluca Matarrese (19 juin 2024)

Anne est comédienne et metteuse en scène, elle travaille sur l’adaptation de L’Assomoir de Zola, joue le rôle de Gervaise en même temps que sa vie personnelle est bousculée et présente des résonances avec ce que vit Gervaise.
L’Expérience Zola est une plongée dans trois dimensions, réalité, théâtre et cinéma… Le film, la pièce en répétitions, ce que vit Anne avec sa rupture puis sa rencontre avec Ben, questionnent sur les interactions entre ces trois dimensions, la création elle-même et bien sûr la relation au public. « La structure du film est un échange [explique le réalisateur], un dialogue entre deux récits, celui de la pièce sur scène et celui des acteurs, en coulisses. Hors scène, les acteurs sont pris dans des conversations intimes, plongés dans leur élément quotidien, dans des réflexions ou des préparatifs avant de basculer dans la fiction. » Ce qui est troublant dans le film, c’est l’interaction entre les trois dimensions, en même temps que la notion d’époque, qui finalement est anecdotique pour la compréhension du drame sur scène et vécu, puisque Anne Bardot, la metteuse en scène, décide de ne pas situer son « assommoir » dans une époque précise et dans un milieu qui n’est pas la classe ouvrière de Zola, mais celui du théâtre et de l’intermittence dont le contexte en dévoile aussi la précarité. S’ajoute à ce double univers un troisième élément, « la caméra [qui est] le moyen d’immersion dans les mouvements intérieurs des personnages. Le montage [souligne Gianluca Matarrese] a créé des liens entre les moments de jeu de la fiction théâtrale et le monde réel, au point de perdre délibérément les références et les codes habituels entre les différents registres. »
Le vertige s’amplifie dans la porosité continue entre ces différents univers, les répétitions, l’adaptation intemporelle du roman de Zola, l’histoire d’amour et la déchéance du couple, la représentation en public, l’interprétation d’Anne Bardot, présente dans chaque plan dans un contexte social en « sous texte », la réalisation aussi car en fait, à première vue, qui dirige qui ?
C’est un cinéma du réel où réalité et fiction se mêlent au point de ne plus démêler l’une de l’autre. J’ai pensé au film d’Ashgar Farhadi, le Client, où la représentation de la pièce d’Arthur Miller, Mort d’un commis voyageur, interfère dans la vie d’un couple sur scène et dans la vie réelle.
L’Expérience Zola de Gianluca Matarrese est un film qui interroge la création et l’intime dans une approche très originale. À voir depuis le 19 juin.

Brique par brique, mur par mur
Une histoire de l’abolitionnisme pénal

De Joël Charbit, Shaïn Morissse et Gwenola Ricordeau (LUX)

Entretien avec Shaïn Morissse (Part 1)

Que signifie punir ? La situation dans les prisons est scandaleuse, c’est connu, de même que la réinsertion est évidemment un mythe. Donc à quoi servent l’enfermement et la prison, qui d’une certaine manière « constitue la matrice de l’abolitionnisme » ? Selon Joël Charbit, Shaïn Morissse et Gwenola Ricordeau, « l’objectif de cet ouvrage n’est pas de dresser un bilan politique de l’abolitionnisme — d’autant plus qu’il est parfois difficile de distinguer ses victoires des transformations et mutations plus générales du système pénal. »
Avant tout, Brique par brique, mur par mur. Une histoire de l’abolitionnisme pénal est un livre précieux et dense, une histoire de l’abolitionnisme à partir de multiples témoignages et expériences différentes, croisées, synthétisées, examinant les luttes et les mouvements abolitionnistes, les critiques sur la police, la prison et le système pénal, les révoltes des prisonniers et les réformes pénitentiaires ou encore le complexe carcéro-industriel états-unien. On y retrouve d’ailleurs Radio Libertaire avec l’émission Ras-les-murs de Jacques Lesage de la Haye.
L’abolitionnisme est un courant de pensée universel, nous l’espérons, et certainement lié à la politique anticapitaliste. « Dans le champ politique, l’abolitionnisme fait face à plusieurs défis, à commencer par la puissance du populisme pénal et du punitivisme, comme l’illustre la prépondérance des courants carcéralistes au sein du féminisme. Par ailleurs, l’abolitionnisme est à contre-courant de la montée en puissance de la judiciarisation des luttes depuis les années 1970. Le droit est définitivement entré en prison, occasionnant des effets ambiguës, car s’il permet, dans certains cas, de mieux défendre des personnes détenues, dans d’autres, il encourage la rationalisation de la surveillance et du contrôle. Il reste que cette centralité du droit est aujourd’hui peu remise en question comme outil des luttes émancipatrices. » Et dans un moment où la droite, le capitalisme et les idées réactionnaires sont popularisées à l’extrême par la plupart des médias grand public, il serait intéressant d’envisager que l’abolitionnisme ne soit plus seulement cantonné à des recherches universitaires…
Rencontre avec Shaïn Morisse, première partie…

Illustrations musicales : Jah-X, Oui Madame. Toxine, Trop de peines à purger. I Was Born With Two Tongues, For Mumia. Le Jour de l’addition, Y a du baston dans la taule. De Andre, Nella mia ora di liberta (1973). Gelem, Liberté volée. Bien sûr qu’on peut fermer les prisons. Bruce Springsteen, Murder Incorporated.

Jeudi 27 juin à 19h30
À la guillotine – les pianos
24 et 26 rue Robespierre à Montreuil
Les Pigeons de la grande guerre, un texte d’Armand Gatti dit par Jean-Marc Luneau