Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Samedi 20 janvier 2024
Agnès Varda par Hélène Fleckinger. La Grâce de Ilya Povolotsky. Ici Brazza d’Antoine Boutet. They Shot the Piano Player de Fernando Trueba et Javier Mariscal. L’Homme d’argile d’Anaïs Tellenne. La Petite de Guillaume Nicloux. Théâtre : I.R. présenté par Julie Roué. I.R. tous les jeudis jusqu’au 14 mars de et avec Louise Belmas
Article mis en ligne le 21 janvier 2024
dernière modification le 30 janvier 2024

par CP

Salut François !

La Grâce
Film de Ilya Povolotsky (24 janvier 2024)

Ici Brazza
Film de Antoine Boutet (24 janvier 2024)

They Shot the Piano Player
Film de Fernando Trueba et Javier Mariscal (24 janvier 2024)
(entretien première partie)

L’Homme d’argile
Film d’Anaïs Tellenne (24 janvier 2024)

Krisha et le maître de la forêt
Film de Park Jae-Beom (17 janvier 2024)

La Petite
Film de Guillaume Nicloux (en DVD BR le 24 janvier 2024)

Salut François !
« Ceux qui, dans les années 1960 et 1970, ont cru à l’effondrement du vieux système d’exploitation et d’oppression, n’ont pas tous sublimé leur révolte et accepté de se couler dans les institutions. » Et c’est le cas de François Cerutti, né à Alger en 1941. Il a très vite rejoint ceux et celles qui militaient en France pour l’indépendance de l’Algérie. Insoumis, il est parti au Maroc, puis s’est installé à Alger après l’indépendance et, de 1962 à 1965, il participera à une entreprise autogérée. Le coup d’État de Boumediène l’obligera, comme d’autres, à quitter l’Algérie et rentrer en France où il passera quelques mois en taule.
En 1968, il s’occupe de la coordination des comités d’action des entreprises de la région parisienne, dans la perspective de l’extension des grèves avec occupation active et la prise en charge des activités nécessaires à la vie quotidienne de la population. Deux périodes de la vie de François qui vont inspirer son livre, D’Alger à Mai 68, mes années de révolution.

J’ai rencontré François Cerutti et Barbara, sa compagne, en 2010 au moment de la publication aux éditions Spartacus de son ouvrage, D’Alger à Mai 68, mes années de révolution. Il est venu le présenter dans les Chroniques rebelles.
Depuis nous échangions souvent et nous devions programmer son livre, co-écrit avec Romain Bonnel, Une histoire sociale et politique de la conquête de l’Algérie par la France : de la guerre des Demoiselles à la reddition d’Abd el-Kader, publié en 2022 chez Terrasses.
Mais le 26 septembre dernier, François Cerutti nous a quitté en laissant le souvenir d’un ami chaleureux, à l’écoute des autres et d’une vie de partage et de fidélité à ses idées et à ses convictions.
Salut François !

(RL 2010)
François Cerutti (1941-2023)

Le cinéma d’Agnès Varda par Hélène Fleckinger :

Conversation libre et une retrospective de tous ses films en 1 coffret

La Pointe courte, Cléo de 5 à 7, L’une chante l’autre pas, BA L’une chante l’autre pas,

Sans toit ni loi

La Grâce
Film de Ilya Povolotsky (24 janvier 2024)

Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d’un van qui contient tous leurs biens et le matériel d’un cinéma itinérant pour organiser des projections en plein air dans les villages reculés.
La Grâce est le voyage initiatique d’une adolescente à la recherche de l’image de sa mère et de son autonomie. Gros plan au bord d’un ruisseau de montagne lorsqu’elle découvre qu’elle a ses règles. Puis, en un long plan séquence, la caméra suit son cheminement, chargée d’un bidon d’eau, dans un paysage à couper le souffle. Les mouvements de caméra accompagnent le vent, la solitude et soulignent la beauté de l’environnement, tout comme l’enchaînement des plans semble une chorégraphie scandée par la puissance des cadres. Plan sur le van au bord de la route, une femme sort du van et part. Soudain, l’adolescente dit « Je veux partir d’ici et aller à la mer ». En un long plan séquence, la caméra suit le van dans le décor montagneux et sauvage, coupé soudain par le travail d’un mécanicien dans un garage. De jeunes garçons parlent de leur désir de partir : « moi, j’aimerais aller à Paris et parler français ». Tout le voyage est fait de rencontres furtives, ou plus longues, au fil des kilomètres et des jours passés sur la route dans un climat de tension dont les protagonistes ne disent mot, comme sur la finalité du voyage et les problèmes à résoudre.

Du Caucase à la mer de Barents, le film est un périple de 5000 km tourné en pellicule et dans l’ordre chronologique, depuis le huis clos des deux personnages qui, au fur et à mesure, évoluent, et c’est d’autant plus visible pour la jeune fille. Elle se transforme et son attitude s’affermit, son observation des autres s’exacerbe jusqu’à la fin où l’adolescente devient mature.
Le choix de la pellicule, qui ajoute à la densité des images « nécessite une préparation minutieuse » explique le réalisateur, c’était un défi, mais « nous avons tourné avant la guerre, Kodak travaillait encore en Russie et soutenait le cinéma indépendant, étudiant... La pellicule était donc plutôt abordable. » Du chef-opérateur, Ilya Povolotsky dit que c’est un artiste conceptualiste. « Quand il travaille sur un film, il ne règle pas seulement la scène en cours en prenant des décisions artistiques immédiates, mais dès le début du processus, il élabore sa conception visuelle dans sa totalité. Il imagine en amont visuellement le cadre dans lequel existent nos héros. Il imagine et choisit la palette des couleurs qui doit souligner et favoriser l’atmosphère. Quand il tient la caméra, il suit sa conception de façon plutôt minimaliste et rigoureuse. […] Dans La Grâce : la caméra portée apparaît uniquement quand elle entre dans l’espace dramatique de l’héroïne elle-même. Le reste du temps, la caméra est en retrait : elle n’utilise que les panoramas, les plans séquences ou des plans fixes. »

La Grâce, au-delà du voyage personnel est aussi l’exploration de l’espace postsoviétique de la Russie d’aujourd’hui, complexe, diversifiée où les gens vivent dans des conditions variées. Tous ces personnages rencontrés, ces langues différentes, la jeune fille qui ne cesse de prendre des photos et les expose dans le van, la frustration que l’on ressent parfois notamment chez les jeunes, leur désir de partir, donne un reflet des conséquences des années 1990 : « quand l’intelligentsia de l’époque soviétique et postsoviétique s’est trouvée rejetée sur le bas-côté de l’histoire et du quotidien. Et [souligne Ilya Povolotsky] l’image abordée de ces gens qui vendent des livres, ce n’est pas une invention, c’est la réalité. […] L’état dans lequel se trouve actuellement la société russe, déterminé par cette catastrophe, a provoqué un effondrement total de la classe des gens humanistes et de leurs valeurs. C’est pour cela que ça m’intéresse de suivre les héros du père et tous les personnages qu’il rencontre en tant que personnes échouées sur le bas-côté, de les suivre parce qu’ils sont devenus “les gens en trop”. »
La Grâce annihile les genres, la fiction est documentaire jusqu’à ces images impressionnantes de ruines d’un ancien laboratoire de recherches au bord de la mer, près duquel on nettoie des poissons morts. « je n’invente pas cette réalité [précise le réalisateur], je l’interprète plutôt. Elle existe telle que, ce n’est pas un décor de ruines reconstituées. […] Mon film précédent et celui-ci qui a été tourné avant la guerre, la catastrophe de 2022, parlent de la crise de civilisation et des circonstances nées sur les ruines d’un empire passé. »
La Grâce est un grand film de cinéma, et nous livre les images étonnantes et fascinantes d’une fresque remarquable de l’univers postsoviétique russe, un film à la fois épique et personnel d’une jeune fille et de sa prise de conscience et de décision. Elle représente par sa détermination le renouveau… En voyant la Grâce, on peut penser à plusieurs films russes, cette année, il est unique et sa force tant esthétique qu’engagée évoque un autre film, la Terre éphémère de George Ovashvili (2014) qui se déroulait entre la Géorgie et l’Abkhazie, avec également peu de dialogues, la même tension constante et la même puissance visuelle.
La Grâce de Ilya Povolotsky est un film exceptionnel à voir en salles le 24 janvier.

Ici Brazza
Film de Antoine Boutet (24 janvier 2024)

Ici Brazza, tout un programme : une zone en friche vit ses dernières heures. 53 hectares à bâtir pour un vaste projet immobilier dans l’air du temps. Chronique d’un terrain vague en transformation, le film scrute l’annonce d’un « nouvel art de vivre » dans la réalité brute du terrain. Suscitant désir et appréhension, les états successifs du paysage dessinent au fil des ans l’image de la ville de demain.
Un film documentaire puissant dont nous parlerons samedi prochain.

They Shot the Piano Player
Film de Fernando Trueba et Javier Mariscal (24 janvier 2024)

Entretien avec les réalisateurs

Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, en 1976, au moment du coup d’état en Argentine, de Francisco Tenório, grand pianiste brésilien. They Shot the Piano Player raconte une période intense de liberté créatrice de la musique en Amérique Latine dans les années 1960 et 1970, juste avant que le continent ne soit englouti par des régimes totalitaires. Et les deux réalisateurs nous explique le choix du sujet et de l’animation.
They Shot the Piano Player de Fernando Trueba et Javier Mariscal au cinéma le 24 janvier.

L’Homme d’argile
Film d’Anaïs Tellenne (24 janvier 2024)

Raphaël est le gardien d’un manoir inhabité près duquel il vit avec sa mère âgée dans un pavillon, une loge en quelque sorte. Entre s’occuper du manoir, de sa mère exigeante, entretenir la grande habitation vide et sa relation avec la postière fantasmant des scènes SM, les jours défilent, semblables, sans qu’il y ait vraiment d’échappatoire au quotidien. Raphaël joue aussi de la cornemuse dans un groupe de musique, mais il n’a guère l’occasion de s’exprimer en solo, sauf parfois lorsqu’il joue seul au clair de lune dans le jardin et là, pour un court instant, c’est absolument magique. Il faut dire que Raphaël, tout le monde l’utilise un peu, sans tenir compte de son talent, de ses prédispositions ou de ses rêves. Il est borgne et aimerait acquérir un œil de verre, alors il s’en dessine un.

Or, par une nuit d’orage, Garance, la dernière héritière du domaine, revient dans la demeure familiale, en larmes et en souffrance… Raphaël s’en occupe et Garance l’observe, elle est sculptrice et aime travailler la matière, son idée est de sculpter Raphaël dans l’argile. Commencent alors des séances de pause dont Raphaël, pudique, n’a guère l’habitude et personne ne porte ce type de regard sur lui. En fait « le regard de Garance va le libérer des autres regards, ceux de sa mère, de la postière, de son groupe de musique. Raphaël est enfermé dans la représentation que les autres ont de lui-même. Comme nous tous [remarque la réalisatrice] qui sommes définis par ces regards qui nous enferment dans des cases. Je demeure persuadée qu’il suffit qu’une personne vous regarde différemment pour vous libérer. »

L’Homme d’argile est un conte depuis le premier plan où l’on découvre le manoir en dessin, puis Raphaël, « borgne et doté d’un physique hors norme, il a appris à vivre en ayant l’habitude de la condescendance, du rejet et de la méfiance. » Ce pouvoir du regard de l’autre est au centre de la problématique du film. Raphaël Thiéry est un personnage extraordinaire, il a tout d’un Michel Simon, par sa présence et sa manière de capter la caméra. Dans le film, c’est un taiseux s’exprimant uniquement par la cornemuse, il y a ce passage de l’ode à la lune, mais aussi le concert, où soudain il se libère entièrement du carcan qu’on lui imposait sans le savoir, et là il donne une interprétation unique et divine. Quant à Emmanuelle Devos, elle est magnifique de finesse et d’ambiguïté, s’imprégnant de la matière qu’elle fait vivre sous ses doigts, elle fait jaillir la création comme une évidence. Deux performances extraordinaires d’artistes en totale communion et une transformation qui s’opère sous nos yeux.
Le film, ce conte qui, s’il change le regard sur les autres, délivre des critères imposés, offre avant tout une autre vision de la création. Un premier long métrage original, doux et fascinant… Une très belle surprise et une jeune réalisatrice à suivre.
L’Homme d’argile d’Anaïs Tellenne à découvrir le 24 janvier au cinéma.

Krisha et le maître de la forêt
Film de Park Jae-Beom (17 janvier 2024)

Éleveuse de rennes nomade, la jeune Krisha vit avec sa famille sur les steppes de la toundra sibérienne. Lorsque sa mère tombe malade, Krisha écoute les conseils d’une vieille chamane et part à la recherche d’un mystérieux ours rouge qui lui est apparu en rêve. Il veille sur les peuples de cette terre gelée et se fait appeler le Maître de la Forêt.
Le film est sur les écrans depuis le 17 janvier et est décrit comme le renouveau de la stop-motion coréenne par le Studio Yona.
Analyse d’Iris Robin.

La Petite
Film de Guillaume Nicloux (en DVD BR le 24 janvier 2024)

La mort accidentelle de son fils et du compagnon de celui-ci met Joseph devant une situation tout à fait inattendue. Il apprend en effet que leur couple attendait un enfant via une mère porteuse en Belgique. La GPA est acceptée en Belgique, mais sans cadre juridique, contrairement à la France où la loi condamne à de lourdes peines ceux et celles qui y ont recours, parents comme mère porteuse. Joseph, très affecté par la mort brutale de son fils même si leurs rapports étaient distendus, se demande tout de même ce que va devenir le bébé et ce qu’il représente pour lui au yeux de la loi. C’est aussi une manière de dépasser la mort du fils. Alors Il décide de partir à la recherche de la jeune femme belge pour envisager une possible adoption. Le père du compagnon de son fils, assez coincé d’ailleurs, refuse cette solution et la responsabilité qu’elle incombe.
Et voilà Joseph, interprété par un Fabrice Luchini simple et touchant, partant seul en Belgique et ne se décourageant ni devant les difficultés de la quête de la jeune femme, ni à propos des complications juridiques. Joseph rencontre finalement Rita, et bien que la jeune femme soit à priori peu encline à créer des liens avec cet homme, et encore moins familiaux à travers ce bébé à naître, il s’incruste et est prêt à tout pour devenir grand-père. Reste à savoir si cela est possible.

La question de la GPA étant cruciale, le film en évoque les difficultés, pose la question du droit des grands-parents avant la naissance d’un enfant dans le cas de la disparition des parents. Auprès de Fabrice Luchini, Mara Taquin (Rita) est débordante de spontanéité.
Un joli film qui sort en DVD/BR le 24 janvier.

Théâtre :

Au théâtre de la Flèche, un spectacle qui casse les normes, I.R. présenté par Julie Roué.
I.R. au théâtre la Flèche, 77 rue de Charonne 75011 Paris, I.R. tous les jeudis jusqu’au 14 mars
En s’appuyant sur une série de diapositives, Louise Belmas découvre que certaines choses ont eu lieu, alors que d’autres pas. On évoquera notamment la victoire de l’Estonie à l’Eurovision, un crash aérien, ou le fait que le violon c’est pas comme le vélo. Un spectacle musical qui propose de s’émanciper des normes pour inventer d’autres possibles. I.R. est un seule en scène mais on ne le comprend qu’à la fin parce qu’il y a beaucoup de personnages.


Dans la même rubrique

Le déserteur de Dani Rosenberg. Même si tu vas sur la lune de Laurent Rodriguez. Le temps du voyage de Henri-François Imbert. Bushman de David Schickele. Sky Dome 2123 de Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó. Théâtre : Frida de Paola Duniaud.
le 21 avril 2024
par CP
Amal. Un esprit libre Film de Jawad Rhalib (Entretien avec Jawad Rhalib et Lubna Azabal). Le jour où j’ai rencontré ma mère (Kiddo) de Zara Dwinger. Civil War de Alex Garland. Le Temps du voyage de Henri François Imbert (Claire Auzias, Samudaripen. Le Génocide des Tsiganes. William Acker, Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d’accueil). Bushman de David Schickele. Revenir à Naples de Paco Ignacio Taibo II. CQFD n° 229 (avril 2024)
le 14 avril 2024
par CP
Accumuler du béton, tracer des routes. Une histoire environnementale des grandes infrastructures de Nelo Magalhaes (première partie). Le Mal n’existe pas de Ryusuke Hamaguchi. Le Vieil homme et l’enfant de Ninna Run Palmadottir. Sidonie au Japon de Élise Girard. Riddle of Fire de Weston Razooli. L’Antilope d’or de Lev Atamanov. La Renarde et le lièvre de Youri Norstein. 5e festival Format court Du 25 au 28 avril.
le 11 avril 2024
par CP
Agra. Une famille indienne de Kanu Behl. Yurt de Nehir Tuna. La Base de Vadim Dumesh. Dieu est une femme de Andrés Peyrot. Festival de Brive et Festival Misic et cinéma
le 31 mars 2024
par CP
O Corno. Une histoire de femmes de Jaione Camborda. Paternel de Ronan Tronchot. Apolonia, Apolonia de Lea Glob. Los Delincuentes de Rodrigo Moreno. En marche ou grève de David Snug (éditions Nada).
le 26 mars 2024
par CP