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Samedi 9 mars 2024
The Sweet East de Sean Price Williams. Chroniques de Téhéran de Ali Asgari et Alirezza Khatami. Tiger Stripes de Amanda Nell Eu. Mis Hermanos de Claudia Huaiquimilla. Nome de Sana Na N’hada. 4 festivals : 46ème édition du Festival International de Films de Femmes (Créteil). Cinélatino. 36es rencontres de Toulouse. Music & cinéma à Marseille. Les monteurs s’affichent à Paris. CQFD n°228. Mars 2024
Article mis en ligne le 10 mars 2024
dernière modification le 14 mars 2024

par CP

The Sweet East
Film de Sean Price Williams (13 mars 2024)

Discussion avec Ariane Allard, critique à Positif, Causette et au Masque et la plume

Chroniques de Téhéran
Film de Ali Asgari et Alirezza Khatami (13 mars 2024)

Tiger Stripes
Film de Amanda Nell Eu (13 mars 2024)

Mis Hermanos
Film de Claudia Huaiquimilla (13 mars 2024)

Nome
Film de Sana Na N’hada (13 mars 2024)

4 festivals :

46ème édition du Festival International de Films de Femmes (Créteil)
Du 15 au 24 mars 2024

Cinélatino
36es rencontres de Toulouse
du 15 au 24 mars

Music & cinéma
du 1er au 6 avril à Marseille

Les monteurs s’affichent
du 13 au 18 mars au cinéma Luminor à Paris

CQFD n° 228. Mars 2024

The Sweet East
Film de Sean Price Williams (13 mars 2024)

Discussion avec Ariane Allard, critique à Positif, Causette et au Masque et la plume

Discussion avec Ariane Allard, critique à Positif, Causette et au Masque et la plume

Au cours d’un voyage scolaire à Washington DC, entre allégeance au drapeau, destinée manifeste et ignorance, Lillian fugue par hasard et c’est le début d’une fausse road movie US, ou plutôt d’une pérégrination déjantée et critique dans l’Est états-unien, avec pour protagoniste une Candide paumée qui s’ennuie grave dans son monde middle class du Sud. Ce n’est pas la petite maison dans la prairie, mais cela y ressemble en trash et, quand même, il y a des drapeaux un peu partout et beaucoup de gens allumés, armés et paranos. Enfin Upton Saint Clair et son bouquin, la Jungle, est cité, sinon c’est une suite des portraits de milieux et de personnes qu’on a peut-être pas envie de connaître. Sauf peut-être les cinéastes qui sont de doux dingues assez drôles.
Ça commence avec Caleb, très piercing, un jeune bourge en rupture et son groupe qui rejettent le système, se disent activistes et artistes, des artivistes. Ils vivent en communauté tout en chassant des fafs allumés racistes, nationalistes et pronazis. Lilian passe d’un monde à l’autre en toute indifférence ou inconscience, on ne sait pas trop, et elle se fait un trip façon Alice au pays des cinglés.

Un justicier armé et tirant dans tous les coins du café prétend que la boîte est un repaire de pédophiles… « C’est le début [lui dit Caleb], cela va empirer ! » Randonnée avec Caleb et sa bande contre le système, après une séance de shoobang avec Annabella, dont Lillian emprunte le prénom et le vécu. Elle se retrouve tout naturellement dans une fête de nationalistes pronazis, peut-être des libertarians, qui honorent le drapeau aux étoiles et sont dans l’idée du complot. Lillian est assez mignonne, elle séduit Lawrence, un prof qui assiste à la rencontre et la prend sous sa protection en lui offrant de la loger puisqu’elle dit avoir fui un ex violent, histoire d’Annabella. Là, on est dans Delaware.
S’ajoute alors un peu de thriller avec un paquet de dollars confié à Lawrence en vue de faire un coup à New York. Le prof séduit est berné et sur ce, Lillian rencontre dans la rue un couple de cinéastes barrés. La voilà embarquée dans un tournage, avec un comédien qui a déjà quelque succès… Entrent en scène les nationalistes sur les traces de Lillian qui veulent récupérer leur fric.

Lilian se tire, aidée par l’un des assistants du tournage dont le frère entraîne une bande salafistes, branchés techno et revues de cul… Et là c’est le Vermont. Elle se retrouve finalement dans une maison façon Hansel et Gretel, rêve ou réalité ? On est à nouveau dans le conte… La Candide se dit que « tout finira par arriver » !

The Sweet East est issu d’un boulot créatif d’équipe avec Nick Pinkerton — tiens le nom des milices patronales !? — et Sean Price Williams explique que « le scénario est plein d’histoires et de personnages dont nous sommes tous les deux convaincus qu’ils sont fondés sur nos propres expériences. La confusion soutient en quelque sorte un espoir d’universalité. » Ah bon ?!
The Sweet East est un film one shot qui met le paquet sur l’imprévisible et une société en déliquescence ? Subversif ? On pense à Ham on Rye de Tyler Taormina (2021), et à John Waters, mais sans sa dérision et déraison extrêmes… Et il manque Divine !
The Sweet East de Sean Price Williams au cinéma le 13 mars.

Chroniques de Téhéran
Film de Ali Asgari et Alirezza Khatami (13 mars 2024)

Plan large et fixe de Téhéran la nuit, puis l’aube, les bruits, une rumeur, au loin monte, le jour se lève, l’appel à la prière et la ville s’éveille totalement, les bruits s’amplifient… la circulation, les cris, la police. Fondu au noir.
Téhéran est un personnage au même titre que les personnages du film qui se succèdent face à la caméra, face à un interlocuteur ou une interlocutrice que l’on ne voit pas et qui représentent le pouvoir sous ses différentes formes. Neuf histoires, neuf saynètes qui explorent « la dynamique du pouvoir dans la société iranienne contemporaine [et analysent] comment un régime totalitaire contrôle les aspects personnels de la vie des individus, tels que le corps, la sexualité et l’identité. » Neuf saynètes séparées par des fondus au noir, pour créer à la fois une continuité et des chapitres qui permettent les nuances de l’humour noir et de la tragédie.
David. Première chronique.
Un homme se présente pour déclarer la naissance son enfant et établir son identité. Prénom ? « David. C’est le prénom que nous avons choisi, ma femme et moi, car nous aimons ce prénom… » S’engage alors un dialogue ubuesque entre le père et l’autorité administrative dont l’argument est : « le prénom David n’est pas sur la liste, il n’est pas autorisé » et pourquoi promouvoir un prénom étranger ? questionne le fonctionnaire. C’est pourtant un prénom de prophète ! rétorque le père. David non, «  Daoud si vous voulez ou alors choisissez le nom de votre auteur préféré »…
Fondu au noir… Selena.
Une fillette, casque sur les oreilles et sweatshirt avec Mickey, danse dans un magasin tandis que sa mère choisit sa tenue pour la rentrée scolaire… le dialogue de la mère et de la vendeuse est hors champ et illustre parfaitement la répression du régime exercée dès l’enfance : pas de couleurs vives et voilà la gamine petit à petit couverte de la tête aux pieds « sous peine d’être exclue de l’école » prévient la vendeuse. Dans la foulée, elle tente de placer le tapis de prière ! « Mais pourquoi je dois porter ça ? » dit la fillette avant d’enlever la tenue obligatoire et de recommencer sa danse casque sur les oreilles.
Fondu au noir… troisième épisode : Aram.
Une élève est convoquée dans le bureau de la directrice qui la suspecte d’avoir un petit ami. Le gardien l’a vue arriver en moto avec un garçon… La directrice veut lui faire avouer une relation illicite, menace de téléphoner au père de la jeune fille, mais celle-ci se défend habilement. Dans les deux dernières chroniques, la fillette et l’adolescente, il est clair que les deux résistent et ne craignent pas cette autorité étouffante, l’une continue à danser et l’autre lance à la directrice qu’elle l’a filmée à son insu avec quelqu’un …
Fondu au noir… Sadaf
La chauffeuse de taxi vient contester la contravention pour avoir laissé glisser son foulard, photo à l’appui. La voiture n’est pas un espace privé lui dit-on, « mais c’est quoi un espace privé dans ce pays ? » Et d’ailleurs ses cheveux sont ultra courts alors que la personne que l’on entrevoit sur le cliché les a longs, elle laisse tomber son foulard pour le prouver…
Fondu au noir… Faezeh et l’entretien d’embauche.
L’homme pose des questions de plus en plus personnelles, ce qui met la jeune fille mal à l’aise, et il lui fait comprendre que son emploi dépend de son bon vouloir. Le pouvoir du patron et le harcèlement. Cette chronique fait évidemment penser au film Sept hivers à Téhéran de Steffi Niederzoll, qui retrace la lutte de Reyhaneh Jabarri, qui pour se défendre de l’agression d’un homme l’avait poignardé en 2007, à Téhéran. La jeune fille avait 19 ans et a été condamnée à mort.
Fondu au noir… Farbod.
Venu chercher son permis de conduire, l’homme est soumis à un interrogatoire incroyable. L’abus de pouvoir administratif caractérisé. À la question s’il est stressé, l’homme répond « Montrez-moi deux personnes qui ne soient pas stressées dans cette ville ! » Et ses tatouages ? Mais quel est le rapport avec l’obtention du permis de conduire : le tatouage est un poème de l’un des plus grands poètes mystiques, Rûmi, dont l’œuvre en persan semble être remise en question par le fonctionnaire zélé et inculte… Poème considéré comme sulfureux par les autorités ? Qu’en est-il dans ce contexte des Roubayats de Omar el Khayam ?
Fondu au noir… Siamak
Depuis 5 mois au chômage, il a répondu à une annonce et se voit questionné sur sa pratique religieuse, les cinq piliers de foi, les sourates à réciter, ou encore il doit mimer les ablutions avant la prière et donner son interprétation accrédité par le régime du jugement final. L’homme cherche désespérément du boulot, même précaire, et accepte l’humiliation que lui fait subir cet homme derrière son bureau sans aucune garantie d’une réponse positive.
Fondu au noir… Ali ou la demande d’autorisation de tournage.
Cette séquence est un summum de l’absurdité. « Où est le problème ? » Réponse : « Il n’y a pas de problème de fond, mais Il faut d’abord changer le titre. » L’autorisation dépend d’un homme borné uniquement attaché à appliquer la censure sur le scénario qui s’inspire du vécu du cinéaste, peu à peu le récit est amputé par la censure et on se demande ce qu’il va rester du projet initial. « La politique culturelle change tous les jours, alors il faut s’adapter » explique le fonctionnaire, alors pas de parricide ! Pourtant il existe depuis l’antiquité : Œdipe et Hamlet ? Justement il s’agit de mettre fin à la culture occidentale, donc supprimer le parricide… Et « on ne raconte pas sa vie au cinéma, c’est indécent ! » Plus de père, plus de mort… Plus d’histoire !
Fondu au noir… Mehri.
Une femme arrive au commissariat pour retrouver son chien qui a été enlevé par des gardes mobiles. Les chiens sont interdits, mais la femme est très attachée à Minoo. Soudain un chien aboie, elle l’appelle et le chien répond.
Tout au long du film, de courtes secousses sismiques laissent présager de la fin du film. Un final, selon les deux réalisateurs, inspiré par la lecture d’une poétesse iranienne contemporaine, Forugh Farrokhzad. Ce que l’on peut voir dans ce retour au plan initial de la ville de Téhéran, avec en premier plan un vieil homme et les secousses qui s’amplifient, est-ce la parabole d’un régime qui s’effondre ? C’est au public de le dire et à chacun.e de faire son propre épilogue, grandiose dans tous les cas.
L’idée première d’Ali Asgari et Alirezza Khatami était de mettre « en lumière la menace que représente un régime totalitaire » et le film est une réussite admirable : description du contrôle exercé sur la population et règles intrusives à tous les niveaux à des fins de manipulation des esprits. Le régime s’infiltre dans l’intimité des individus, les moindres détails du quotidien sous surveillance… le film en montre les effets sur les rapports sociaux, incitant aux abus de pouvoir, appliquant aveuglément des règles absurdes pour déceler toute tentative d’insoumission, briser tout signe de remise en question des décisions étatiques liberticides. Mais la résistance demeure présente face aux sbires du pouvoir et à l’oppression, les arguments fusent toutefois et s’articulent comme autant de grains de sable dans la machine de l’État.
L’humour est noir, grinçant, subversif… De quoi rire jaune, se désespérer aussi, mais résister.
Chroniques de Téhéran de Ali Asgari et Alirezza Khatami, le 13 mars au cinéma.

Tiger Stripes
Film de Amanda Nell Eu (13 mars 2024)

Le début de l’adolescence et la métamorphose de la puberté… Le corps de Zaffan, 12 ans, se transforme rapidement et ses amies se détournent d’elle la jugeant sous l’emprise de forces inquiétantes. « En Malaisie [explique la réalisatrice], les mythes et les légendes populaires ne sont jamais entièrement cantonnés au monde de la fiction : monstres, esprits et fantômes sont une réalité bien concrète, qui imprègne notre quotidien de superstition. Ces récits de mise en garde ont bercé mon enfance et marqué mon imaginaire d’une fascination mêlée de terreur. Quand je me suis replongée dans ces contes à l’âge adulte, [j’ai pris conscience] que la plupart des méchants, des démons, étaient des femmes. Ces créatures bestiales sont mises en scène comme des parias — des femmes d’apparence grotesque dotées d’intuition, des femmes repoussantes ».
Donc l’adolescente est soudain ostracisée dans sa communauté et accusée de tous les maux, car elle ne se conforme pas aux normes, alors « comme un tigre harcelé et délogé de son habitat, Zaffan décide de révéler sa vraie nature, sa fureur ». Il n’est plus question d’étouffer la « nature sauvage essentielle que chaque femme porte en elle », qui est l’essence d’elle-même. Alors elle passe à l’attaque. Zaffan est une adolescente qui choisit de ne plus avoir peur, de s’accepter et d’être libre.

« 
Cette histoire [ajoute Amanda Nell Eu] est une parabole du combat intime que nous livrons pour révéler notre nature sauvage et notre individualité, pour embrasser notre indépendance et la force qu’elle nous offre. » C’est en même temps une histoire en écho au vécu de la réalisatrice, de même qu’à sa volonté de questionner l’idée du monstre.

Ce n’est pas ici le mythe du loup garou, mais du tigre-garou faisant allusion au folklore populaire en Indonésie et en Malaisie, bien que, dans son récit, Amanda Nell Eu en inverse l’ordre puisque ce n’est pas un tigre qui se transforme en homme comme dans la légende, mais une adolescente qui se métamorphose en tigre pour vivre libre, se fondre dans la nature et rompre avec les règles sociales imposées. Entre conte de fées, façon Vilain petit canard, métamorphose inattendue, portables incontournables et références aux films d’horreur, on se régale du désarroi que Zaffan déclenche : belle ode à l’émancipation !
C’est un premier long métrage réussi, alors bien sûr on attend la suite.
Tiger Stripes de Amanda Nell Eu, à voir au cinéma le 13 mars.

Mis Hermanos
Film de Claudia Huaiquimilla (13 mars 2024)

Mis Hermanos
Dans une prison pour mineurs, isolée de tout, Angel et son jeune frère Franco, surnommé Pulga, attendent depuis un an la date de leur jugement. Malgré la violence carcérale, des amitiés se nouent, des groupes se créent, par affinité ou solidarité. Autour de Jaime par exemple… adolescent révolté qui élabore un projet d’évasion. Pour Ángel, qui se sent responsable de Franco, se pose alors la question d’y adhérer ou non. La caméra de la réalisatrice s’approche au plus près de ces jeunes malmenés par la vie, que les expériences ont mûri prématurément, mais dont les rêves sont ceux des enfants qu’ils sont encore.
Mis Hermanos s’inspire d’événements survenus dans un centre de détention au sud du Chili, en 2007. Dix jeunes détenus avaient organisé une émeute pour exiger de meilleures conditions de détention et s’échapper dans la foulée. Mais sans issue de secours, ils sont morts étouffés.
Claudia Huaiquimilla, d’origine mapuche par son père, est née au Chili en 1987 où elle étudie la réalisation et tourne son premier court-métrage en 2013, San Juan, la noche más larga, primé au Festival de Clermont-Ferrand. Elle réalise ensuite son premier long-métrage, Mala junta, en 2016, qui a reçu plusieurs prix au Cinélatino, dont celui du public. En 2022, Mis Hermanos fait partie des films dans la compétition du Cinelatino. Dans cet extrait d’entretien réalisé par l’équipe de Tribuna latina americana de Radio Libertaire, Claudia Huaiquimilla revient sur la genèse de son film et sur l’importance de la mémoire collective au Chili.

Mis Hermanos commence par le plan de deux adolescents, Angel et Franco, rêvant de leur futur, adossés au mur immense de la prison… « Quand on sortira d’ici, on ira au parc d’attractions. »

Mis Hermanos est « dédié à la mémoire des dix jeunes morts en 2007 dans le centre de détention pour mineur.es de Puerto Montt et aux 1796 autres, décédés entre 2015 et 2020 dans ces mêmes centres sous la responsabilité de l’État chilien.  »
Mis Hermanos de Claudia Huaiquimilla est un film essentiel et il est en salles le 13 mars.

Nome
Film de Sana Na N’hada (13 mars 2024)

Guinée-Bissau, 1969. Depuis six ans, une guerre violente oppose l’armée coloniale portugaise aux guérilleros du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert. Après avoir mis enceinte une jeune fille accueillie par sa mère, Nome complètement « déboussolé », fuit son village et ses responsabilités pour rejoindre l’armée de libération. C’est une époque où beaucoup s’engagent, certains par convictions politiques, d’autres pour échapper à la répression coloniale ou, comme pour Nome, c’est un concours de circonstances qui les font gagner le maquis. Nome est un homonyme, le nom de tous ceux qui ont participé à la guerre, des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs…
Le film s’attache à montrer l’histoire d’une lutte de libération en même temps que son impact sur la société, sur une communauté villageoise animiste emplie de croyances et sur les femmes, certaines actives dans la guérilla, d’autres qui la subissent comme Nambù, chassée du village pour éviter le déshonneur. Elle accouche dans la forêt, échappe de peu à la mort, mais perd conscience et est laissée pour morte, tandis que le bébé est recueilli par une femme soldate. Éveillée par l’esprit de la forêt, Nambù reprend vie, cherche son enfant disparu, mais la douleur est si forte qu’elle perd sa voix.

Nome rentre en héros, après des années, dans son village, mais il a bien changé, il ne s’enquiert aucunement de Nambù, devient arrogant, menteur et son unique préoccupation est d’être un notable à Bissau, et profiter de son statut avec cynisme. Pour ce faire, il organise avec quelques uns de ses anciens compagnons guérilleros une mafia qui rançonne les commerçants. La corruption est rentable et les idées révolutionnaires ne sont plus de mises, leur ancien chef de groupe l’apprend à ses dépens. Ce dernier représente un idéal trahi et la débandade du pays après l’indépendance et la mort d’Amílcar Cabral, celui qui croyait dans l’union et la construction d’un pays nouveau. « Après l’Indépendance est venu le temps des guerres civiles. L’agriculture, le système de soin... tout s’est écroulé. »
Le film est fascinant, mêlant images d’archives, récit fictionnel, magie et croyances ancestrales. Les images sont magnifiques, le jeu des comédiens et comédiennes est étonnant pour rendre le drame d’une indépendance ratée. Le réalisateur, qui a étudié le cinéma à Cuba, retrace la terrible épopée de cette guerre d’indépendance sur plusieurs aspects, émotionnels, personnels, spirituels, universels.

Si, en Guinée, on lui reproche de toujours parler de la guerre, c’est qu’elle été une période charnière dans l’histoire du pays, un moment terrible car elle « a beaucoup coûté, en sang, en sueur, en faim, en sacrifice, en deuil, en haine car on continue de se haïr encore aujourd’hui et de s’entretuer. » Il ajoute qu’il en parle aussi parce que « l’Histoire contemporaine de la Guinée-Bissau est absente des manuels scolaires. Les jeunes guinéens ne savent pas d’où ils viennent. [Mais] je ne pense pas que beaucoup de Guinéens recevront ce film avec enthousiasme car, je parle aussi d’un échec. Un échec dont nous sommes tous responsables, dont nous sommes tous coupables, car nous avons voulu un pays, mais lorsque nous l’avons eu, nous nous en sommes désintéressés. » Un film lucide et passionnant.
Nome de Sana Na N’hada, à voir en salles le 13 mars.

4 festivals :

46ème édition du Festival International de Films de Femmes (Créteil)
Du 15 au 24 mars 2024

Cinélatino
36es rencontres de Toulouse
du 15 au 24 mars

Music & cinéma
du 1er au 6 avril à Marseille

Les monteurs s’affichent
du 13 au 18 mars au cinéma Luminor à Paris

CQFD n° 228. Mars 2024 :
Samantha Lavergnolle n’a pas fini de nous manquer…


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