Chroniques rebelles
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Entretien avec Jean-Michel Carré et Jill Emery dans Divergences n° 11, janvier 2008
Le système Poutine. Film documentaire de Jean-Michel Carré et de Jill Emery (2007). Analyse d’une personnalité autoritaire dans le contexte géopolitique.
Christiane Passevant / Divergences
Article mis en ligne le 13 février 2008
dernière modification le 23 novembre 2008

par CP

À lire dans divergence.be, janvier 2008, n° 11.

Qui est Vladimir Poutine ? Quel est ce personnage qui contrôle, avec Gazprom, 30 % de l’approvisionnement en gaz de l’Europe ? Qui est ce président plébiscité par la majorité de la population russe ? S’agit-il d’une « présidence impériale » ou d’une « démocratie présidentielle » autoritaire ? Poutine l’autocrate représente-t-il une continuité ou un changement ?

Le Système Poutine, de Jean-Michel Carré et de Jill Emery, analyse la personnalité autoritaire du chef d’État russe. Les cinéastes vont aux origines du personnage Poutine, questionnent son adolescence, suivent l’itinéraire de cet homme de l’ombre formé par le KGB. Poutine a gravi patiemment les marches du pouvoir et a su mettre en place des réseaux de contrôle extrêmement puissants. Son ascension au pouvoir recouvre trente années d’histoire russe.

Koursk, un sous-marin en eaux troubles, de Jean-Michel Carré (2004), est un premier film sur Vladimir Poutine, un documentaire d’investigation qui analyse la période entre son élection et sa prise de pouvoir. « Ce qui est fascinant dans ce genre d’investigation où votre seule arme véritable en tant que cinéaste est de prendre le temps, ce dont les journalistes ont rarement la possibilité, c’est de découvrir dans des documents relativement accessibles car officiels des informations qui, regroupées avec d’autres, tout aussi officielles, démontrent le contraire de la thèse qu’ils sont censés illustrer. » C’est en effet huit années d’enquête, de recherche, de rencontres, d’éléments croisés pour cerner un système de pouvoir.

Le film révèle, en même temps que les tractations occultes des complexes militaro-industriels, la gestion parfaitement cynique de la situation par un Poutine habile politique, de même qu’un mensonge d’État exemplaire qui a précédé la mainmise sur l’armée, la presse et l’économie dont dépendait l’installation pérenne au pouvoir du nouveau président. La raison d’État, qui a primé sur la vie des marins, a guidé Poutine pour gérer le drame du Koursk. Son attitude sera identique lors de la prise d’otages dans le théâtre de Moscou par un commando tchétchène et, en 2004, au moment du drame de l’occupation de l’école de Beslan en Ossétie du Nord qui se termina en bain de sang (344 civils tués, dont 186 enfants). C’est le choix d’une fermeté sans état d’âme, le refus de négocier et de prendre en compte la vie des civils. Le système Poutine s’accélère. Après le musellement des militaires, la censure de la presse, la détention ou l’assassinat de journalistes d’opposition, c’est la remise au pas des oligarques.

Le Système Poutine, de Jean-Michel Carré et de Jill Emery, est une analyse du pouvoir et une enquête sur l’un des individus les puissants du monde : de l’enfance d’un chef jusqu’au pouvoir suprême, au Kremlin.

Christiane Passevant : Quel est le lien entre ton documentaire Koursk, un sous-marin en eaux troubles et le Système Poutine ?

Jean-Michel Carré : C’est une histoire étrange, le Koursk aurait dû être un film sur Poutine. Mais comme le Koursk était un événement incroyable, avec des raisons et des secrets d’État, le premier film a été sur le Koursk. Cette histoire faisait aussi réfléchir sur Poutine, sur un cas particulier situé trois mois après son arrivée au pouvoir. C’était la première crise grave qu’il a géréed’une manière assez étrange au premier abord, mais ensuite, dans le film, on comprend pourquoi il n’est pas allé voir les familles de marins. C’était en fait une histoire d’État concernant la Russie, les États-Unis et la Chine. Du coup, ce n’est que vers la fin du film qu’il est question de Poutine et du pouvoir. Même si le problème de la presse est évoqué. C’est d’ailleurs après l’épisode du Koursk qu’il a senti qu’une certaine presse, qui n’était pas sous la coupe directe de l’État, se permettait de le critiquer. Il a alors compris qu’il était nécessaire de mettre fin rapidement à la liberté de la presse. Donc déjà, dans le Koursk, le système poutine est ébauché, mais c’est un film sur le Koursk, une histoire particulière d’espionnage, un thriller et le film sur Poutine n’était pas réalisé.

Le Système Poutine a donc été la suite logique et trois ans ont été nécessaires pour cerner le personnage. Nous sommes repartis de son enfance, de son adolescence pour comprendre qui était ce personnage. Nous avons rencontré sa professeure d’allemand, ses copains de l’époque pour saisir la psychologie de Poutine, pour comprendre pourquoi il est entré au KGB et quelles ont été les influences marquantes durant sa jeunesse. Il s’est senti investi d’une mission et a gardé cette idée de son rôle, ce que très peu d’oligarques ont compris.