Chroniques rebelles
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Samedi 23 octobre 2021
Visions d’elle de Denitza Bantcheva. Cinéma : Las Niñas de Pilar Palomero. Le Périmètre de Kamsé d’Olivier Zuchuat. Oray de Mehmet Akif Büyükatalay
Article mis en ligne le 9 octobre 2021
dernière modification le 6 octobre 2021

par CP

Visions d’elle
Denitza Bantcheva (éditions DO)

Entretien avec Denitza Bantcheva

Las Niñas
Film de Pilar Palomero (27 octobre 2021)

Le Périmètre de Kamsé
Film documentaire d’Olivier Zuchuat (au cinéma 27 octobre 2021)

Oray
Film de Mehmet Akif Büyükatalay (27 octobre 2021)

Visions d’elle
Denitza Bantcheva (éditions DO)

Entretien avec Denitza Bantcheva

C’est un récit plutôt qu’une biographie : Visions d’elle a pour trame un récit personnel, intime, traversé néanmoins par l’histoire d’un pays, d’un régime… Une étude de l’intérieur du totalitarisme ordinaire.

« Ma mère s’est suicidée le 5 mai 2002, vers quatre heures et demie de l’après-midi. Sur le balcon du septième étage, on a trouvé une chaise dont le dossier était appuyé contre le parapet, et les pantoufles qu’elle avait ôtées, bien alignées du côté gauche du siège. » Le récit commence ainsi, clinique, comme une dépêche tombant sur le desk, une manière de mettre une distance vis-à-vis de l’inacceptable. «  J’ai commencé ce récit quelque deux semaines après sa mort [écrit Denitza Bantcheva], dès mon retour à Paris, et ces premières phrases, relues par nécessité, me stupéfièrent des mois durant : le fait de sa mort, et que j’aie pu l’exposer par écrit, l’admettant ainsi pour vrai […], alors que tout ce qui sentait en moi le refusait. Dix ans plus tard, habituée à ce savoir factuel, j’avais encore le sentiment de son invraisemblance, et pour tenter de m’y faire, je me disais que la plupart des événements importants de sa vie et de la mienne n’étaient pas plus vraisemblables que cela. »

Décidément, il fallait à Denitza raconter sa mère, dont elle était la proche confidente, et puisque, écrit-elle, « sa descendance se limitait à moi, et la mienne, à mes écrits. Je devais donc remiser sur papier ce que je pouvais d’elle telle que personne d’autre ne l’avait connue, et telle que je ne saurais la raconter à personne de vive voix ».

Annie, sa mère, est déjà fichée à 16 ans, accusée d’être subversive et, comme elle le constate, lucide, : « Ma génération, c’était celle des compromis. On est tous foutus. Le nombre de gens de mon âge qui sont morts ces dernières années, d’un infarctus ou d’un cancer foudroyant, tu ne l’imagines pas. » Cette génération avait connu l’espoir des années 1960, puis le retour du bâton, le conformisme latent, « la bassesse, les trahisons de rigueur et le mensonge généralisé ». Pire encore, après la chute du mur, le régime bulgare survit dans les esprits et les infrastructures du pays, par exemple avec cette remarque d’une femme de la police des frontières lors d’un contrôle : « Vous savez, on a encore nos habitudes des temps glorieux de jadis ! » Il est certain que « ce foutu pays et ses gouvernants les ont tous eus, d’une manière ou d’une autre, les garçons et les filles qui étaient nés dans les années trente à cinquante ». Pourtant Annie reste vivante, ineffaçable, prête à inspirer des portraits en resurgissant « sous des angles si variés », en révélant des visions d’elle.
Barbara, Le mal de vivre
Bo Eduart, Stranded Traveller
Fehlfarben, Glucksmaschinen
Interlude
J, Born On the Wrong Side of Town
Wasnt born to follow
BO Ragtime, Randy Newman
Beatles, A Day in a Life
Sakamoto

Las Niñas
Film de Pilar Palomero (dans les salles le 27 octobre 2021)

Las niñas est un premier long-métrage qui marque certainement un nouvel élan du cinéma espagnol. « Pourquoi est-ce un péché d’avoir un enfant sans être mariée ? » demande Celia en confession. La question reste sans réponse orale, mais les observations de l’adolescente montrent que le poids du franquisme et de son principal soutien — l’Église catholique — sont toujours aussi présents dans la société espagnole. Le film se situe en 1992, l’année où l’Espagne semble à la pointe de la modernité en Europe, les J.O de Barcelone, l’exposition universelle de Séville, la movida… et le franquisme soi-disant aux oubliettes depuis 1975… Le film illustre non pas l’après-franquisme, mais plutôt les conséquences de quarante années de dictature et de moralité cléricale ancrées profondément dans les esprits et les mentalités. Las niñas illustre parfaitement le phénomène par le biais de l’éducation religieuse et de l’idéologie intrusive et contraignante qui l’accompagne.

Celia, jeune adolescente, vit avec sa mère à Saragosse et étudie dans un collège pour filles dirigé par des religieuses. Aux questions qu’elle adresse à sa mère, Adela lui sert la fable du père mort avant sa naissance, un mensonge pour ne pas affronter la réalité et le jugement des autres. Adela porte une alliance qu’elle dissimule lorsqu’elle se rend chez sa famille. La religion est omniprésente, comme le déni qu’elle entraîne dans les relations familiales. Dans le film, l’éducation des filles est traitée de manière quasi documentaire et la réalisatrice choisit les non-dits pour décrire la situation et la pression des institutions religieuses sur la vie privée et les actes quotidiens. Outre les prières, les chants, les sujets de dissertation, etc. tout est sujet à encadrer les adolescentes et les former pour leur rôle induit par une société patriarcale. Cependant les questions de Célia bouleversent quelque peu cet ordre établi, comme son amitié pour Brisa, qui vient de Barcelone, et sa révolte adolescente à la fois candide et sans compromis.

« L’une des choses [confie Pilar Palomero] que je voulais mettre en avant dans le scénario c’est qu’en 1992, l’éducation dans les écoles, dans les foyers, dans la société, était un pas en arrière par rapport aux besoins que nous avions et ce que nous voulions. Je pense que cela a à voir avec le fait qu’au final nous portons le lourd poids de l’éducation de nos parents, qui eux-mêmes portent celui de nos grands-parents et nous faisons sûrement subir notre propre poids de transmission à nos enfants. C’est ce qui fait que l’éducation est un peu en retard sur la société ».

Le regard de Célia, ses émotions sont le fil conducteur de Las niñas, les programmes de télévision de l’époque participent à l’immersion du public dans cet univers du début des années 1990, et les musiques bien sûr, en écho détonnant aux chants religieux enseignés par les religieuses… Because the Night de Patti Smith par exemple… Il y a de quoi se rebeller non ?!
Las Niñas de Pilar Palomero est au cinéma le 27 octobre 2021
Et elle tourne actuellement son second long métrage…

Le Périmètre de Kamsé
Film documentaire d’Olivier Zuchuat (au cinéma 27 octobre 2021)

Le Périmètre de Kamsé est un film où il est question de la prise de conscience de paysannes et paysans, de leur lutte contre la désertification dans le Nord du Burkina Faso. Un très long travelling ouvre le film sur des femmes armées de pelles et de pioches, elles regardent la caméra avec gravité et détermination. Déterminées elles le sont certes, car c’est la seule alternative pour demeurer sur cette terre aride sur laquelle l’eau glisse sans être retenue par des arbres. La seule solution est de replanter, de creuser des bassins… Les plus vieux se souviennent, avant il y avait des arbres, des bosquets et la pluie abreuvait les récoltes.

Cela paraît impossible de faire reculer le désert et pourtant le village s’y attèle. Il faut creuser, créer des digues, des plants d’eau pour les milliers d’arbres à planter, et cultiver les champs abandonnés au désert… C’est un véritable combat pour faire revivre cette terre. Et vous savez quoi ? Ça marche ! Et le film en témoigne qui suit l’évolution du travail comme on mène une enquête.

À Kamsé, la vie reprend, les cultures pointent leurs feuilles et grandissent peu à peu, les réserves d’eau s’élargissent et tout un réseau d’irrigation se met en place… Un travail impressionnant pour la reconquête des terres sur le désert et un message d’espoir porté par les femmes du village.
Un très bel exemple de solidarité… à suivre.
Le Périmètre de Kamsé d’Olivier Zuchuat (au cinéma 27 octobre 2021)

Oray
Film de Mehmet Akif Büyükatalay (27 octobre 2021)

Un couple se dispute et, sur le coup de la colère, Oray prononce trois fois le talâq qui, dans la loi musulmane signifie répudiation. Oray ne sait pas comment revenir en arrière, coincé entre les coutumes religieuses et son amour pour sa compagne. De plus, l’interprétation du talâq diffère selon les croyances…

La semaine prochaine, diffusion de l’entretien avec Mehmet Akif Büyükatalay :
« Sur Oray, je n’ai pas tant tenté de travailler sur la persuasion mais de présenter le maximum de réalités permettant à chacun de se rendre compte de la complexité du système. Pour traiter de l’Islam, j’ai parlé des musulmans, de leur psychologie, de leurs aspirations à être des êtres humains indépendamment de la religion, leurs émotions, leur ambiguïté intrinsèque, leurs peurs, mais aussi leurs motivations. Tout cela raconté à travers un individu, Oray ».
Un film percutant qui sort le 27 octobre et dont, samedi prochain, nous diffuserons l’entretien avec le réalisateur.
Outre cet entretien, nous parlerons du film génial et déjanté d’Ismael el Iraki, Burning Casablanca (Zonca Contact), dans les salles le 3 novembre 2021.
Deux films à ne pas louper.


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