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Samedi 8 Avril 2023
Loup et chien de Claudia Varejao. La Colline de Denis Gheerbrant & Lina Tsrimova. Le Prix du passage de Thierry Binisti. Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob. Sur le passage de Jacques Vaché
 à travers une très courte unité de temps de Rémy Ricordeau. Désordres de Cyril Schäublin : seconde partie de la table ronde
Article mis en ligne le 10 avril 2023
dernière modification le 23 avril 2023

par CP

Loup et chien
Film de Claudia Varejao (12 avril 2023)

La Colline
Film de Denis Gheerbrant & Lina Tsrimova (12 avril 2023)

Le Prix du passage
Film de Thierry Binisti (12 avril 2023)

Dancing Pina
Film de Florian Heinzen-Ziob (12 avril 2023)

Sur le passage de Jacques Vaché
 à travers une très courte unité de temps
Un film de Rémy Ricordeau
(éditions Sevendoc)

Désordres
Film de Cyril Schäublin (12 avril 2023)

Seconde partie de la table ronde en compagnie de Hugo, Shiva, Jean-Max, Daniel et Monique…

Loup et chien
Film de Claudia Varejao (12 avril 2023)

Ana vit sur une des îles paradisiaque des Açores, mais voilà elle étouffe un peu entre le chant des baleines observées par les touristes, sa famille, la religion omniprésente et les traditions… plus patriarcales : difficile à imaginer ! Sa grand-mère lui a d’ailleurs raconté qu’auparavant, à la naissance d’une fille, la famille brûlait son cordon ombilical dans le four de la cuisine pour que, symboliquement, la petite fille sache où était sa place dans la société. Et puis il y a ces pèlerinages, réservés aux hommes, autour de l’île, et ceux dans la ville elle-même où se révèle l’homophobie irrépressible du père de Luis qui l’agresse en plein défilé, et enfin l’hostilité à l’encontre de tout ce qui ressemble à un pas de côté.

Pas étonnant qu’Ana souhaite autre chose, mais en tant qu’insulaire et n’en sachant encore pas trop sur ses désirs, elle cherche des réponses à ses doutes, d’autant que la perspective de finir comme les autres femmes de l’île, cela ne la tente guère. Elle voit la mer et son horizon de découvertes à l’infini, alors ce pas de côté, elle le franchit grâce à Luis et à la communauté queer de l’île. L’ennui aux Açores, royaume des baleines, c’est généré par ce sentiment d’être enfermée, elle demande d’ailleurs en regardant les perruches prisonnières : mais « pourquoi met-on les oiseaux en cage ? »
Enfin, il y a Cloé, libre et désinvolte, qui, en arrivant de l’étranger pour ses vacances, va littéralement faire éclater les réticences et les craintes d’Ana, celles d’une jeune fille assignée à son rôle, qui s’en éloigne de plus en plus certes, sans pour autant oser l’assumer. La découverte du désir, de l’attirance pour Cloé la bouleverse : « parfois, [dit-elle] je ne sais plus où est le bien et le mal. » Mais est-il question ici de valeurs morales, qui enferment la liberté, ou bien s’agit-il d’un besoin d’autonomie ? « Cloé est une comète dans le ciel d’Ana. Elle apporte avec elle toute la brillance de la jeunesse. En traversant la vie d’Ana, elle éclaire le chemin à venir de celle-ci en lui offrant la légèreté, la sensualité et l’ouverture aux expériences. » S’agissant de Luis, il sera celui qui « casse tous les modèles quant à son rôle social. Il ne le fait pas dans un esprit de combat mais par sens de la liberté et malgré le regard des autres, et, particulièrement celui de son père et de ses camarades de classe. Il a en lui la force d’un volcan, qui pourrait exploser à tout moment. » La scène de consécration de Luis au sein du groupe LGBTQI++ est d’autant plus forte, qu’elle est imprégnée de chorégraphie en quelque sorte transcendée issue des processions, mais d’un tout autre genre et de manière détournée, s’opposant ainsi à l’enfermement des traditions. Cold Song en fond sonore y est pour quelque chose… avec la traduction en sous titres : « laisse-moi geler jusqu’à la mort… »

Le titre du film est inspiré d’un poème portugais, évoquant ce qui existe entre le loup et le chien. Vivre entre Loup et chien, dit la réalisatrice, c’est « vivre entre deux opposés, sans peur de l’infinité de nuances, c’est l’idéal de la diversité humaine. J’aime poser mon regard sur ce monde de l’entre-deux et pouvoir être qui je veux. »
Loup et chien de Claudia Varejao au cinéma le 12 avril 2023.

La Colline
Film de Denis Gheerbrant & Lina Tsrimova (12 avril 2023)

Une colline au Kirghizistan, couverte d’immondices et des hommes, des femmes, des enfants fouillant et triant les ordures. Des chiens, des chats et des fumées, des oiseaux qui survolent la déchetterie. À la rencontre des sans voix… Parmi les personnes qui trient de jour comme de nuit, un ancien soldat, un sniper, ayant obéi aux ordres les plus horribles sans état d’âme, puis jeté comme objet inutile : « j’ai obéi pendant 26 ans, c’était dur et je n’oublie rien. C’est pour cela que je bois. Les femmes et les enfants, on les empalait. Je tirais sur les chiens, les chats, les vieux, les enfants. On enterrait les gens avec les tanks. Personne ne sait. »

Au milieu de la déchetterie, des bidonvilles, une vieille femme raconte, mère de huit enfants dont la plupart sont morts, elle travaille toujours sur la déchetterie, car son mari est malade. Le couple travaillait dans un kolkhoze, mais après le changement de régime, plus de travail, plus de pensions… « On nous paye tous les trois jours ou à la semaine. Les enfants meurent et plus rien ne m’intéresse. Je regarde les photos et je pleure. J’ai du mettre en gage mon alliance au Mont-de–piété. »

D’autres encore, des jeunes parlent d’absence d’espoir d’une meilleure vie : « ma mère n’a droit à aucune pension. J’ai commencé à travailler à 12 ans sur la déchetterie. Dans le bâtiment, c’est dur aussi et on est moins bien payé. »

Une jeune fille ajoute : « On pense que la vie est un conte, mais ce n’est pas vrai. »
« — C’est quoi être un monstre ? demande Lina Tsrimova à l’ancien militaire,
— C’est ne plus connaître ses limites. La première fois que j’ai tué, j’ai pleuré, mais après la troisième fois, c’est devenu normal. La quatrième fois, j’y ai pris goût. Je me vois comme un monstre. J’ai dépassé les limites.
— Et l’État ?
— L’État défend ses intérêts et il se fiche pas mal des chiens comme nous, des chiens de guerre. Je suis maudit, c’est pour ça que je ne veux pas revenir dans la société.
 »

Film documentaire sur le terrain, la Colline montre le fond du désespoir sans dramatisation, comme ça… En pleine réalité !
La Colline est en salles le 12 avril.

Le Prix du passage
Film de Thierry Binisti (12 avril 2023)

Natacha, mère célibataire un peu paumée, travaille comme serveuse à Calais, mais elle ne s’en tire pas financièrement, alors elle se débrouille pour ne pas perdre la garde de son fils. À la suite d’une altercation, elle est renvoyée et, de manière fortuite, elle apprend par Walid, un étudiant irakien d’un camp de réfugié.es, que le passage des migrant.es est très lucratif. Lui-même est en attente d’argent pour passer en Angleterre. Natacha n’a guère d’empathie pour les migrant.es, pourtant se trouvant acculée, elle se dit que de tenter l’aventure — dissimuler des personnes dans son coffre et passer la frontière — pourrait résoudre ses problèmes.
Coincé.es entre la police, qui les traque, et les passeurs, qui les exploitent, les migrant.es vivent des conditions inhumaines, et beaucoup sont prêts à payer pour tenter le passage en Angleterre, enfin ceux et celles qui en ont la possibilité grâce à leur famille ou à des arrangements. Après plusieurs passages, organisés sur place par Walid, dont un avec un bébé, un peu stressant, Natacha y prend goût, « c’est peut-être la première fois de sa vie qu’elle a osé une chose aussi folle et l’avoir réussie la galvanise, c’est la première marche vers sa liberté. Si le film s’appelle Le Prix du passage [commente Thierry Binisti], c’est bien parce qu’en quelque sorte tout le monde “passe”, tout le monde accède à quelque chose au cours du processus. Pour Natacha, c’est le prix à payer pour pouvoir sortir de sa condition. » Mais l’organisation des dealers de passages s’aperçoit des combines de Natacha et Walid, et réagit violemment à ce genre d’initiatives, qui met en danger son business… Les représailles contre Walid font suite aux menaces, et Natacha est aussi est visée. Entre les violences et la police des frontières, la situation devient dangereuse, et Natacha s’embarque pour un dernier passage en compagnie de son fils…

Le prix du passage, à travers une histoire banale, mais très détaillée, décortique le système et montre ce que génèrent les politiques discriminatoires des États à l’encontre des réfugié.es, notamment l’organisation de groupes mafieux qui profitent de la précarité et de la peur des populations en danger. Ce qui est également mis en avant, c’est la libération des personnes, lorsque après l’angoisse du voyage, elles sortent du coffre, et même la joie d’en finir avec un cauchemar. Il est vrai que le cinéma permet de l’exprimer au-delà des chiffres ou des reportages, comme le dit le réalisateur : « la fiction permet d’abolir la distance entre nous et le monde, qui devient abstrait dans le flot permanent des news. Le cinéma nous ouvre des fenêtres sur des situations bizarrement insoupçonnées, parce que rarement portées par des êtres de chair et de sang. Il peut ainsi contribuer à une prise de conscience. C’est ce que j’avais essayé de faire avec Une bouteille à la mer : quand les gens parlaient d’Israël et de la bande de Gaza, j’étais toujours surpris et à quel point c’était juste un problème politique, jamais incarné par des individus. La non-connaissance de la dimension humaine d’une question politique est parfois stupéfiante et la fiction peut aider à remplir ce vide.  »

Le prix du passage est aussi la rencontre de deux galères et même si elles semblent différentes, elles illustrent parfaitement les réalités contemporaines. L’interprétation des comédiens.nes est remarquable, notamment celle d’Adam Bessa, qui confirme ici la finesse et la puissance de son jeu, après avoir remporté un prix d’interprétation à Cannes pour sa performance dans Harka de Lofty Nathan.
Le Prix du passage de Thierry Binisti au cinéma le 12 avril 2023.

Dancing Pina
Film de Florian Heinzen-Ziob (12 avril 2023)

Pina Bausch est une légende de la danse par son originalité, son ouverture, ses créations, et par l’inspiration qu’elle représente pour ceux et celles qui l’ont connue, se coulent dans œuvre, s’en inspirent, sans toutefois copier son travail, car ce serait perdre l’essence même de l’élan Pina Bausch. Et puis chaque artiste a son propre style.

C’est en fait l’expérience de ce film, qui suit en parallèle les répétitions de deux spectacles, en Allemagne, Iphigénie en Tauride et le Sacre du printemps à l’École des Sables près de Dakar, deux spectacles guidés par d’anciens membres du Tanztheater de Pina Bausch. Les artistes sont issus de la danse contemporaine, du hip-hop ou du ballet classique, alors Danser Pina, c’est « questionner ses limites, ses désirs, et métamorphoser une œuvre tout en se laissant soi-même métamorphoser par elle. »

Les phrases, le vécu des artistes, se croisent au gré des répétitions et de la construction des spectacles. Ce va et viens entre les deux préparations montre à quel point il est essentiel d’essayer, « danser c’est comme apprendre une autre langue » ; « c’est un nouveau vocabulaire. Je dois être moi et ce n’est pas simple. On essaye d’être parfait.e et de cacher ses défauts. Mais là, on essaie d’être soi-même » ; en fait, ajoute l’une des guides, « vous parlez avec des mouvements. »

Deux mondes se croisent, en Afrique et en Occident, avec deux séquences fabuleuses, l’une en Allemagne, l’orchestre étant dans la fosse et les danseurs et danseuses évoluant sur une scène paraissant flotter dans l’espace. Quant au final sur le sable de la plage africaine, elle joue sur le montage superbe de plans larges succédant aux gros plans, avec des mouvements de caméra, c’est comme une chorégraphie. Une séquence magique. Le Covid venait pourtant d’annuler les représentations, alors raconte le réalisateur, décision fut prise de filmer Le Sacre du Printemps malgré l’annulation, « pas sur une scène de théâtre comme prévu à Dakar puis à Paris et à Londres, mais sur la plage. […] La pièce s’achèverait avec les derniers rayons du soleil. Et c’est ainsi que ça s’est passé.

C’était un défi technique. Nous n’avions qu’une chance de saisir ce moment, avec seulement deux caméras et sans répétition. Ce moment du sacre sur la plage est pour moi une affirmation forte. Se relever dans l’échec. Pourquoi faisons-nous de l’art ? Pourquoi dansons-nous ? Pourquoi faisons-nous des films ? »
Cette séquence restera dans les mémoires… « L’œuvre de Pina se perpétue mais elle s’est aussi transformée au gré des circonstances, de l’environnement, des hommes et des femmes qui la dansent. Une œuvre en mouvement perpétuel. » Avec un thème, constant, la transmission.
Dancing Pina de Florian Heinzen-Ziob le 12 avril au cinéma.

Sur le passage de Jacques Vaché
 à travers une très courte unité de temps
Un film de Rémy Ricordeau
(éditions Sevendoc)

Qui était Jacques Vaché, celui à propos duquel André Breton a écrit : « il est surréaliste en moi » ? Météore dans le ciel des révoltes logiques, poète et artiste sans œuvre mais non sans destin, Jacques Vaché a durablement marqué de son empreinte l’invention de l’esprit moderne. Dans ses Lettres de guerre il initie en effet le fondateur du surréalisme à une autre manière d’appréhender sensiblement le monde et l’invite avec Umour (sans « h ») à refonder poétiquement la vie.

Entre évocations épistolaires du quotidien de la guerre et fulgurances poétiques adressées du front à différents correspondants, le film s’attache à restituer l’itinéraire biographique et intellectuel de celui qui deviendra l’incarnation mythique de l’esprit de « désertion » à l’origine de Dada et du surréalisme — de son adolescence révoltée à Nantes à sa tragique et controversée disparition dans cette même ville en 1919.
Après Je ne mange pas de ce pain-là. Benjamin Péret, poète, c’est-à-dire révolutionnaire ; Prenez garde à la peinture… et à Francis Picabia, voici le troisième film, avec pour cadre le surréalisme ou plutôt, en l’occurrence, les origines du surréalisme et cela donne Sur le passage de Jacques Vaché
 à travers une très courte unité de temps. Les deux premiers films s’attachaient à l’itinéraire de surréalistes connus, Benjamin Péret et Francis Picabia, Jacques Vaché l’était moins avant ton film, qui retrace effectivement le passage « fulgurant » d’un jeune homme, poète « météore surgi de nulle part dans le ciel des révoltes logiques ». Sans œuvre, à première vue peut-être, néanmoins Jacques Vaché se trouve être l’auteur d’un abondant courrier et de nombreux dessins, croquis, l’inventeur du collage pour « quelque part reconstruire un sens à ce monde qui a éclaté », sans parler de l’influence qu’il a exercé sur son ami André Breton.
Jacques Vaché meurt à 24 ans, volontairement ou accidentellement ? Des circonstances de sa mort, le film en parle, mais l’important n’est-il pas que toute sa jeunesse soit marquée et ancrée dans la Première Guerre mondiale ? Entretien avec Rémy Ricordeau.

Désordres
Film de Cyril Schäublin (12 avril 2023)

Seconde partie de la table ronde en compagnie de Hugo, Shiva, Jean-Max, Daniel et Monique…
1877, six ans après la Commune de Paris, dans l’horlogerie de Saint-Imier, en Suisse, sont d’actualité les bouleversements technologiques, la photographie, le télégraphe, mais également les luttes syndicales, politiques, avec la réorganisation du temps de travail par la direction de l’entreprise. Dans cette ambiance de plus de compétitivité au programme, Joséphine, jeune ouvrière qui fabrique le balancier au cœur des mécanismes, rencontre Pierre Kropotkine. Cette rencontre prend place dans une période cruciale du développement du mouvement anarchiste — local et international —, alors que s’impose le capitalisme industriel.
Cyril Schäublin invite ainsi le public à « remettre en perspective la construction de ce qui deviendra notre présent dont nous faisons l’expérience ensemble. Les définitions du temps et du travail, développées et affirmées sous le capitalisme industriel, sont-elles de simples inventions ? Comment les discours sur la “nation” et d’autres inventions du XIXe siècle définissent encore notre façon de travailler ensemble, d’organiser et d’user de notre temps aujourd’hui ? »

Désordres de Cyril Schäublin (12 avril 2023).
Une avant-première est organisée au St André des Arts le 11 avril à 20h.