Chroniques rebelles
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Samedi 1er juillet 2023
Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania. Luise de Matthias Luthardt. Tinnitus de Gregorio Graziosi. Alain Delon Amours et mémoires de Denitza Bantcheva. La lionne et le géographe de Serge Utgé-Royo. CONCERT DE SOUTIEN À JULIAN ASSANGE, 3 juillet à la Maroquinerie. Avant-première de YALLAH GAZA de Roland Nurier le 3 juillet
Article mis en ligne le 3 juillet 2023
dernière modification le 5 juillet 2023

par CP

Les Filles d’Olfa
Film de Kaouther Ben Hania (5juillet 2023)

Luise
Film de Matthias Luthardt (5 juillet 2023)

Tinnitus
Film de Gregorio Graziosi (5 juillet 2023)

Alain Delon
Amours et mémoires

Denitza Bantcheva
Coordination Liliana Rosca (éditions de La Martinière)

La lionne et le géographe
Serge Utgé-Royo (éditions du Caïman)

Lecture d’un extrait dans une collection de nouvelles rassemblées dans Vive la Commune. Reviendra le temps.

CONCERT DE SOUTIEN À JULIAN ASSANGE
3 JUILLET À LA MAROQUINERIE

YALLAH GAZA de Roland Nurier aura lieu le 3 juillet à 20h à La Maison de Tunisie, 45 A, Bd Jourdan, 75014

Les Filles d’Olfa
Film de Kaouther Ben Hania (5juillet 2023)

Les Filles d’Olfa
Film de Kaouther Ben Hania (5 juillet 2023)
Les filles d’Olfa est une histoire à la fois simple, presque banale, et dramatique, dont Kaouther Ben Hania se saisit pour explorer au cinéma les fondements mêmes de la société, plus justement des sociétés, car cette histoire, si elle est ancrée dans une réalité nationale spécifique a des résonnances universelles. Plusieurs films ont été réalisés sur l’attraction du jihad et la sainteté pour des adolescents et des adolescentes qui voient dans ce mirage une possibilité de futur que la société confisque.
Alors que Kaouther Ben Hania achève son documentaire très personnel, Zaineb n’aime pas la neige, sur la vie d’une adolescente filmée durant six années, elle entend le témoignage d’Olfa à la radio et en est bouleversée, l’histoire d’une mère et de ses quatre filles adolescentes : « Olfa m’a immédiatement fascinée [dit-elle]. J’ai vu en elle un formidable personnage de cinéma. Elle incarnait une mère avec toutes ses contradictions, ses ambiguïtés, ses zones troubles. Son histoire complexe, terrible me hantait et j’avais envie de l’explorer, de comprendre sans savoir comment faire. »

Une fiction, un documentaire ? C’est la question posée par le travail de Kaouther Ben Hania. Filmer Olfa et ses deux plus jeunes filles restées auprès d’elle n’était pas simple et présentait le risque de trahir ce qui s’était réellement passé : « Comment raviver les souvenirs sans les embellir, les transformer, sans se donner le beau rôle, sans édulcorer la vérité ? Comment réussir à convoquer ce qui a eu lieu et qui n’est plus là ? Comment affronter la vérité de son propre passé des années après ? Mais le plus problématique [selon la réalisatrice], c’est la façon dont Olfa jouait un rôle. À partir du moment où j’avais allumé ma caméra, elle s’est mise à jouer un rôle ». Il était donc essentiel de percevoir et de montrer comment les deux filles aînées en étaient peu à peu arrivées à décider de partir, fascinées par un avenir hypothétique sans qu’il y ait aucune bienveillance pour favoriser le doute ou l’hésitation de celles-ci. Cela ramène évidemment à la situation des jeunes filles pauvres dans une société où l’idée d’un changement social après la chute Ben Ali, a suscité beaucoup d’espoir. Si l’on prend l’exemple de deux films tunisiens, Ashkal de Youssef Chebbi (2022) et Harka de Lotfy Nathan (2022), force est de constater que le soulèvement de 2011 s’était terminé par une tragédie pour beaucoup au point de montrer le drame de Mohammed Bouazizi comme inutile ou pire, indifférent, à la façon de l’image finale du film de Lotfy Nathan, ou encore comme un basculement dans une réponse mystique à l’échec dans Ashkal.

La disparition des deux filles aînées d’Olfa est d’un ordre différent et ramène à une réalité désespérée sur plusieurs plans, en effet quel est l’avenir proposé à une jeune fille tunisienne pauvre, n’ayant même pas la possibilité de faire des études faute de moyens ? Se marier ? Cette perspective de servitude sans épanouissement et de reproduction n’est guère enviable. La prostitution ? C’est une façon de prendre un chemin de traverse dangereux sans que cela garantisse une quelconque autonomie. Dans ce contexte, la solution du jihad, bien orchestrée par le discours islamiste, propose la perspective d’entrevoir une vie de femme héroïne d’une guerre sainte, vantée et sans le mépris dont les femmes souffrent habituellement. Et comble d’absurdité, puisque le voile est interdit, le porter affiche un acte de résistance. Ce que montre et analyse Kaouther Ben Hania, c’est un « voyage intime fait d’espoir, de rébellion, de violence, de transmission et de sororité », qui questionne non seulement les institutions générées par la société patriarcale, mais aussi le futur sans perspective ni alternative auquel les filles et les femmes sont condamnées.

Le dispositif de réalisation de Kaouther Ben Hania — choisir deux comédiennes pour interpréter les deux filles aînées, évoquer leur vie familiale et la décision de partir — provoque la remise en cause de ce vécu par les deux cadettes et leur opposition au principe de fatalité énoncé par Olfa, leur mère, elle-même interprétée par une comédienne, son double. Le dédoublement entre les deux femmes est troublant et permet le détachement d’Olfa de son récit personnel qu’elle a si souvent répété et certainement quelque peu transfiguré. Par ailleurs, les rôles masculins du film — le père géniteur défaillant, le beau-père violeur et le flic — sont tenus par le même comédien, ce qui souligne que les Filles d’Olfa est avant tout une histoire de femmes, de mère et de filles, de mère qui transmet la tradition comme une fatalité, sans remettre en question le soit disant mektoub d’une situation inacceptable.
Dans ce film, il a plusieurs problématiques, les femmes et leurs droits, les relations entre elles, enfin le cinéma et la porosité des genres. Kaouther Ben Hania a déclaré ne pas aimer les paraboles lors d’un entretien au moment de la présentation de son film L’Homme qui a vendu sa peau, elle choisit donc, dans les Filles d’Olfa, d’affronter frontalement le problème du patriarcat et de ses conséquences qui s’ajoute au problème des différences de classes et d’inégalités latentes.
La bande son est superbe, composée par Amine Bouhafa, le jeu de dédoublement de l’image, de reflets comme pour créer une distanciation, le comédien craquant en écoutant les révélations de l’une des jeunes sœurs, les échanges de rôles entre Olfa et la comédienne, les répétitions sont profondément troublantes… Réalité ou fiction ? Les deux peut-on dire lorsque l’on constate que la réalité reproduite et mise en scène se révèle parfois plus juste, plus authentique que le témoignage documentaire. Qui joue et qui fait partie de l’histoire ? La réflexion générale n’en est que plus éloquente, et le résultat est une réussite surprenante et impressionnante.
Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania est à voir absolument à partir du 5 juillet 2023.
Avant le générique de fin, il est inscrit sur l’image que les deux filles aînées d’Olfa sont toujours dans les prisons libyennes, et l’une d’elle avec une enfant de 5 ans. Les demandes de libération ont été jusqu’à présent rejetées.

Luise
Film de Matthias Luthardt (5 juillet 2023)

Octobre 1918. La première guerre mondiale s’étire. Luise, 25 ans, vit seule dans une ferme isolée en Alsace, territoire allemand depuis cinquante ans. Hélène, jeune Française en fuite vers les Pays-Bas, y trouve refuge, poursuivie par un soldat allemand, Hermann, car elle aurait blessé mortellement un soldat de son régiment. Il la retrouve et s’installe dans la ferme de Luise et devient de fait un déserteur. Luise les cache tous les deux lorsqu’une escouade de militaires visite la ferme. Elle ne pose pas de question aux deux fugitifs, mais très vite une relation ambiguë s’installe entre les trois. Hélène, jeune femme très libre, est en rupture des injonctions faites aux femmes. Elle séduit Luise, mais Hermann, jaloux et ne comprenant pas la relation amoureuse entre les deux femmes, tente de s’interposer. Il propose de s’occuper de la ferme qui, à ses yeux, a besoin de la présence d’un homme. Hélène veut partir ailleurs, les Pays-Bas lui apparaissant comme plus ouverts à une marginalité réprouvée en Alsace et elle tente de convaincre Luise partir avec elle.

Déclaration de l’armistice et fin de la guerre. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, guerre décidée et dirigée par des hommes, le sens de la hiérarchie, de l’honneur patriotique restent des principes édictés par les hommes et il est évident que les femmes doivent se tenir dans un rôle traditionnel de soumission et de repos du guerrier. Or Luise, tenant seule la ferme et ne craignant pas la solitude, de même qu’Hélène voyageant dans un pays en guerre et prônant la liberté du corps sont des personnages de femmes fortes et en rébellion contre les assignations habituelles destinées aux femmes, tant sur le front que dans la vie quotidienne à la maison. D’où l’attitude désarçonnée d’Herman comme celle du capitaine à la recherche du fugitif devant l’attitude de Luise, qui petit à petit s’émancipe. Le réalisateur insiste d’ailleurs sur « l’urgence de remettre en question et de briser ces modèles stéréotypés, à travers une histoire intemporelle et universelle. »
Le film décrit la personnalité d’une jeune femme solitaire qui prend conscience de ses désirs, de l’appartenance de son corps, de ce qui lui est imposé dans une société d’hommes, de son refus d’accepter les normes qu’elle réalise auprès d’Hélène, de la nécessité d’émancipation et de suivre son propre chemin sans qu’il lui soit imposé de quelque manière et par qui que ce soit.
Luise de Matthias Luthardt est en salles le 5 juillet 2023.

Tinnitus
Film de Gregorio Graziosi (5 juillet 2023)

Marina est championne de plongeon synchronisé, mais elle est un jour victime d’un grave accident causé par une violente crise d’acouphènes. Elle est de fait écartée de sa passion et change complètement d’occupation en travaillant comme sirène dans un aquarium. Quatre ans après, alors qu’elle est toujours sous traitement pour les suites de son accident, elle rencontre Térésa, qui l’admire et l’a remplacée dans la compétition de plongeon synchronisé. Cette rencontre éveille alors des souvenirs et bientôt des envies chez Marina.
Le sport de compétition n’est pas uniquement le sujet de Tinnitus, mais il en est le cadre pour analyser ce qui en résulte dans les relations, les choix, les décisions à prendre et les rêves.
Le personnage de Marina illustre parfaitement les sentiments contradictoires d’une personne soumise à des impossibilités de réaliser ce pourquoi elle a été formée. De plus, le récit souligne aussi ce qui entrave la carrière de Marina concernant son problème de stress et d’audition, comme le décrit le réalisateur, « São Paulo est l’une des villes les plus bruyantes du monde, entourée de milliers d’immeubles et de pollution sonore, il n’y a aucun moyen de s’échapper. Si vous avez un état de stress ou de perturbation mentale, au lieu de vous soulager, il est certain que cela va s’aggraver. […] Au départ, il me semblait très intéressant que quelqu’un qui dépend du contrôle total de son corps — une athlète de plongeon, debout sur le bord d’une plate-forme, à 10 mètres au-dessus de l’eau — puisse mettre sa vie en danger, frappé par un mal soudain qui peut attaquer sans prévenir. Les acouphènes peuvent faire partie du processus de perte auditive d’une personne. Il peut être exacerbé par des causes émotionnelles. C’est une maladie solitaire. Ceux qui en souffrent ont tendance à la cacher. Elle se manifeste différemment chez chacun. Elle provoque généralement l’incompréhension et l’étrangeté de l’entourage. »

Tinnitus va bien au delà de la compétition sportive, mais plutôt s’intéresse aux coulisses et au vécu des personnes pour examiner l’impact sonore en général et au quotidien. Le cas de Marina, touchée comme beaucoup de personnes par l’immersion dans des milieux bruyants, les villes en particulier, sans que l’on mesure exactement les conséquences graves qui en découlent, est en quelque sorte exemplaire. Les pressions très fortes auxquelles sont soumises les jeunes athlètes, doivent évidemment jouer dans les contradictions qui affectent leurs choix, leurs amitiés et leurs amours.
Les images du film sont très impressionnantes, elles mêlent à la fois la réalité de la compétition, l’envol des plongeuses, les vues sous l’eau, mais également les projections oniriques des rêves et des flashbacks, ce qui produit une vision très originale d’un sport de précision où la concentration est à la fois fragile et essentielle.
Tinnitus de Gregorio Graziosi au cinéma le 5 juillet 2023.

Alain Delon
Amours et mémoires

Denitza Bantcheva
Coordination Liliana Rosca (éditions de La Martinière)

L’ouvrage offre un large panorama de l’itinéraire de l’un des monstres sacrés du cinéma français, notamment avec une quarantaine de films remarquables, leurs synopsis, leur réception par le public, les critiques et les commentaires. Alain Delon fut non seulement l’interprète de grands réalisateurs, mais également producteur et même le réalisateur de deux films. Parmi les chefs-d’œuvre et les films cultes auxquels il a participé, on peut citer Le Guépard de Luchino Visconti, Plein soleil de René Clément, Le Samouraï de Jean-Pierre Melville ou encore Monsieur Klein de Joseph Losey, mais aussi des films d’auteur marquants, L’Insoumis d’Alain Cavalier, Les Centurions de Mark Robson, Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Le Professeur de Valerio Zurlini, Quelle joie de vivre de René Clément, L’Éclipse de Michelangelo Antonioni, ainsi que des films populaires comme Mélodie en sous-sol et Le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil avec Jean Gabin et Lino Ventura, Paris brûle-t-il ? de René Clément, la Piscine et Borsalino de Jacques Deray. S’ajoutent également les témoignages de proches, de comédiennes et de comédiens ainsi que de personnes qui l’ont côtoyé.

Doté d’une iconographie exceptionnelle, parfois inédite, l’ouvrage décrit aussi une facette méconnue de sa carrière au théâtre et à la télévision, qui bat en brèche l’image parfois caricaturale souvent associée au personnage.
Cet ouvrage est le fruit d’une dizaine d’années de recherches tant dans la collecte des articles de presse que dans les livres et, surtout, dans la connaissance des interprétations de Delon au cinéma, au théâtre et à la télévision. Denitza Bantcheva retrace l’itinéraire d’un artiste qui, à travers son travail, a fait connaître le cinéma français et celui au-delà des frontières, de même que le processus de création cinématographique et les métiers qui la constituent. Autrement dit le travail d’équipe essentiel au cinéma !
À noter le très long et intéressant entretien d’Alain Delon dans lequel il développe une réflexion passionnante sur le cinéma et les metteurs en scène de légende qui l’ont dirigé dans un autre livre de Denitza Bantcheva, René Clément. Nous en avions parlé dans les chroniques rebelles de Radio Libertaire.
Ce portrait large, ou cet itinéraire, que dresse Denitza Bantcheva d’Alain Delon nous a donné l’envie d’une rencontre amicale dont la première partie est diffusée aujourd’hui.
Les illustrations musicales de cette première partie d’entretien sont extraits de bandes originales : Plein soleil (René Clément/Nino Rota), de l’Insoumis (Alain Cavalier/ Georges Delerue), le Samouraï (Jean-Pierre Melville/François de Roubaix), et de la chanson Bella Ciao.
Denitza Bantcheva a publié des romans, des récits, des poèmes et des ouvrages sur le cinéma dont Jean-Pierre Melville : de l’œuvre à l’homme, René́ Clément et Un florilège de Joseph Losey (éd. du Revif). Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Positif.
Nous diffuserons prochainement l’ensemble de cet entretien.

La lionne et le géographe
Serge Utgé-Royo (éditions du Caïman)

Lecture d’un extrait dans une collection de nouvelles rassemblées dans Vive la Commune. Reviendra le temps.

CONCERT DE SOUTIEN
3 JUILLET À LA MAROQUINERIE

Suite à l’annulation de l’avant-première, le 15 juin, la salle ayant été saccagée 3 jours avant LA PRÉSENTATION EN AVANT-PREMIÈRE DU DOCUMENTAIRE
YALLAH GAZA de Roland Nurier aura lieu le 3 juillet à 20h à La Maison de Tunisie, 45 A, Bd Jourdan, 75014
En présence de l’équipe du film venue de Gaza avec démonstration de danse traditionnelle Dabké par 3 des 6 jeunes danseurs du film qui ont obtenu un visa de sortie.

Yallah Gaza aborde les aspects historiques, géopolitiques, parle de sionisme, de politique interne palestinienne, de Droit International, et des motifs d’espoir gazaouis pour paraphraser le grand poète palestinien Mahmoud Darwich : « Nous souffrons d’un mal incurable qu’on appelle l’espoir ».
La bande de Gaza est un territoire palestinien de 360 km² où s’entassent plus de 2 millions d’êtres humains. La population est sous blocus terrestre, maritime et aérien israélien.
Sortie du film dans les salles françaises le 8 novembre 2023