Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Samedi 5 août 2023
Désordres de Cyril Schaüblin. Table ronde et entretien avec le réalisateur. Yamabuki de Juichiro Yamasaki. Les Tournesols sauvages de Jaime Rosales. 24 heures à New York de Vuk Lungulov-Klotz.
Article mis en ligne le 10 juillet 2023

par CP

Désordres
Film de Cyril Schaüblin

Table ronde autour du film suivie d’un entretien avec Cyril Schäublin

Yamabuki
Film de Juichiro Yamasaki (2 août 2023

Les Tournesols sauvages
Film de Jaime Rosales (2 août 2023)

24 heures à New York
Film de Vuk Lungulov-Klotz (9 août 2023)

Désordres
Film de Cyril Schaüblin

Table ronde autour du film.

Six critiques — Hugo, Shiva, Jean-Max, Daniel, Monique et moi-même pour analyser un film original. « L’anarchisme, c’est le communisme sans le gouvernement », dit une aristocrate russe à une amie, en se faisant photographier dans un parc. C’est le début du film, et comme l’écrit Gilles Tourman : « À l’instar de ce propos d’ouverture, Cyril Schäublin réalise, pour son deuxième long métrage, un film à l’humour décalé et constant, atypique et envoûtant. Par ses éclairages et ses couleurs, alternant extérieurs aux tons clairs et intérieurs ombrés, sa nature lumineusement impressionniste, son grain et ses cadrages d’une originalité époustouflante avec ses diagonales et ses verticales, son parti pris de filmer les humains de loin et dans un coin de l’écran à l’extérieur, en plans moyens dans l’usine mais en très gros plan les mains et les mécanismes d’horlogerie, [Cyril Schäublin réalise] un travail d’orfèvre à l’image de celui de ces “régleuses” chargées de mettre au point le balancier  » des montres. Le temps est ici central : temps de travail, temps de parole, temps pour se rendre à l’atelier, celui des trains et du télégraphe…
Cela se passe à Sant Imier, en 1877, dans une horlogerie suisse où pointent les bouleversements du productivisme, tandis que le mouvement anarchiste se développe… Joséphine, une jeune ouvrière, y fabrique le balancier, et rencontre Pierre Kropotkine.
À la sortie de la projection presse du film de Cyril Schäublin, Désordres, nous étions plusieurs à être enthousiastes et, spontanément, nous avons voulu en discuter sans fixer de limites de durée…
« L’anarchisme, c’est le communisme sans le gouvernement », dit une aristocrate russe à une amie, en se faisant photographier dans un parc. C’est le début du film, qui prend place à Saint-Imier, en 1877, dans une horlogerie suisse où pointent déjà les bouleversements du productivisme, à un moment où la vallée devient l’épicentre du mouvement anarchiste…

Joséphine, une jeune ouvrière, place le balancier, pièce essentielle d’une montre, et croise Pierre Kropotkine à une époque de grands bouleversements technologiques, la mesure du temps, la photographie, de nouvelles formes de communication, notamment avec le télégraphe. L’ordre social, prôné par le capitalisme, et le nationalisme s’opposent au discours anarchiste et à la conscientisation des ouvriers et des ouvrières. Le temps est ici central : temps de travail, temps de parole, temps pour se rendre à l’atelier, celui des trains et du télégraphe…
Le film, inspiré par les Mémoires d’un révolutionnaire de Pierre Kropotkine, restitue à partir de faits historiques, son séjour en Suisse et sa prise de conscience.

Désordres
Film de Cyril Schäublin
Entretien avec le réalisateur

Cet entretien avec Cyril Schäublin a eu lieu avant la présentation du film en avant-première le 11 avril : 1877, six ans après la Commune de Paris. À Saint-Imier, en Suisse, dans une horlogerie, le monde du travail est confronté au début du productivisme au moment où la vallée devient l’épicentre du mouvement anarchiste… C’est l’époque de grands bouleversements technologiques, la photographie, le télégraphe… et politique avec la réorganisation du temps de travail par la direction de l’entreprise.
L’ordre social, prôné par le capitalisme, et le nationalisme s’opposent au discours anarchiste et à la conscientisation des ouvriers et des ouvrières. Le temps devient central : temps de travail, temps pour se rendre à l’atelier, celui des trains et du télégraphe… Dans cette ambiance d’ouverture à la compétitivité, Joséphine, jeune ouvrière qui place le balancier au cœur du mécanisme des montres, rencontre Pierre Kropotkine. Cette rencontre prend place dans une période cruciale du développement du mouvement anarchiste — local et international — alors que s’impose le capitalisme industriel.
Désordres de Cyril Schäublin est une invitation à mettre en perspective « la construction de ce qui deviendra notre présent dont nous faisons l’expérience ensemble [et à se poser des questions] : Les définitions du temps et du travail, développées et affirmées sous le capitalisme industriel, sont-elles de simples inventions ? Comment les discours sur la “nation” et d’autres inventions du XIXe siècle définissent encore notre façon de travailler ensemble, d’organiser et d’user de notre temps aujourd’hui ? »

Yamabuki
Film de Juichiro Yamasaki (2 août 2023

Dans une petite ville minière de l’ouest du Japon, Chang-su travaille dans une carrière. Ancien jockey de l’équipe de Corée du Sud, il est criblé de dettes après la faillite de son père, il vit avec Minami et sa fille. Les choses vont s’arranger pense-t-il, mais survient un accident, un éboulement dans la montagne, et la découverte d’un magot volé. Parallèlement une jeune lycéenne, Yamabuki, dont la mère, correspondante de guerre est morte, décide de manifester silencieusement à un carrefour de la ville aux côtés d’un groupe de personnes. Son père, commissaire de police, la sermonne, mais Yamabuki poursuit ses manifestations avec un ami.
Plusieurs destins se croisent au cours du récit, sans pour autant se rencontrer. Le film évoque le patriarcat, la xénophobie, les tensions autour de l’immigration, mais aussi dans les familles, avec en filigrane les déplacements et les bouleversements au moment des jeux olympiques.
Yamabuki est le nom d’une fleur printanière, qui s’accroche aux flancs des montagnes comme la jeune lycéenne, dont c’est le prénom, marquée par le souvenir de sa mère indépendante, prête à mourir pour ses convictions. « Je voulais [dit le réalisateur] faire le portrait de familles complexes parce que je voulais montrer l’obsession pour la vie à travers des personnes qui ont du prendre un chemin difficile. […] Malheureusement, il existe encore des obstacles dans notre société, tels que des pratiques et des systèmes mauvais et discriminatoires. J’aimerais qu’on y prête attention. » Yamabuki est un film choral, un regard philosophique sur la vie, la transformation du paysage et des personnes, comme le montre les séquences animées réalisées par Sébastien Laudenbach. Une très belle idée qui évoque l’évolution de la vie.
Yamabuki de Juichiro Yamasaki est sur les écrans depuis le 2 août.

Les Tournesols sauvages
Film de Jaime Rosales (2 août 2023)

Julia a 22 ans, issue d’un milieu populaire, elle est mère célibataire et élève seule ses deux enfants. Elle se débat entre son besoin d’autonomie et entamer des études d’infirmière et la recherche d’un compagnon. Pas facile de gérer les émotions contraires qui l’animent, entre relations amoureuses, les enfants et aspirations à la liberté. Le réalisateur imagine donc une jeune femme qui, « à l’heure où la place de la femme et son émancipation occupent une place dominante dans les discours, [représente le] contre exemple d’une amoureuse qui a toujours besoin d’un homme à ses côtés ». D’où sans doute le choix du titre, les Tournesols sauvages, à la fois évocateur et poétique : « Il y a une dimension contradictoire dans le titre car les tournesols ne sont pas sauvages mais le personnage de Julia, auxquels ils font écho, l’est. Elle se révolte contre sa destinée. Le tournesol cherche la lumière et est dépendant du soleil. Il bouge en fonction de lui. Julia, de la même manière, est dépendante des hommes et se déplace en fonction d’eux. »
Les Tournesols sauvages sont donc trois moments de la vie d’une jeune femme, trois expériences de couple jalonnées de conflits, qui sans doute permettent à Julia d’apprendre peu à peu ce qu’elle recherche réellement. Les deux premières relations sont chaotiques, à Barcelone, Oscar le tatoué se révèle irresponsable, imprévisible et violent ; quant à Marcos le militaire, à Melilla, il est défaillant en tant que père des enfants, absent la plupart du temps. Deux déceptions dont Julia se relève quand même, mais qui illustrent aussi la « charge psychologique que supportent les femmes ». Après sa rencontre avec Alex, même si celui-ci veut assumer son rôle de compagnon et de père, Julia doit néanmoins s’occuper de ses deux enfants, d’un bébé et, en parallèle, mener ses études d’infirmière. De quoi craquer à nouveau. Trois hommes, trois lieux, c’est le portrait d’une jeune femme d’aujourd’hui, et son itinéraire à la manière d’un apprentissage, qui commence sur une plage et se termine en balade dans une forêt.
Les Tournesols sauvages de Jaime Rosales au cinéma depuis le 2 août 2023.

24 heures à New York
Film de Vuk Lungulov-Klotz (9 août 2023)

Dans une boîte de nuit, musique et discussions entre ami.es. Fernanda/Feña sort dehors pour prendre l’appel de son père qui arrive le lendemain à New York. Feña insiste pour venir le chercher en voiture. Feña est trans mais n’a pas terminé sa transition. En revenant à l’intérieur, il retrouve son ex petit ami venu accompagner sa cousine. Et celle-ci questionne Feña :
— Est-ce que tu as une verge ?
— Ça ne se demande pas
, répond Feña, mais non je n’ai pas de verge.
— Mais tu ne veux pas être un homme ?
— Tu n’as pas besoin d’une verge pour être un homme, rétorque Feña.
Belle démonstration de clichés dans les représentations trans et Feña n’est pas au bout de ses découvertes, comme l’explique le réalisateur : « être pris entre deux mondes est aussi fondamental pour l’expérience humaine que n’importe quelle autre. En explorant trois relations intimes dans la vie de notre protagoniste, le film soulève des questions sur le genre, l’amour et l’entre-deux qui caractérise souvent la vie de trans. » Après les retrouvailles avec son ex et en attendant la venue de son père, sa demi-sœur de 13 ans débarque dans le café où travaille Feña, une ado troublée qui a des relations difficiles avec sa mère. Mais Feña ne veut pas d’histoires avec cette dernière et elle ramène la gamine chez elle après des discussions.
En 24 heures, Feña en pleine transition, se retrouve confrontée à trois personnes de son passé, à la fois proches et loin de la réalité qu’elle vit en tant que trans. Et gérer tout cela au pas de course, en 24 heures, n’est pas simple et parfois même cela blesse, et Feña n’en sort pas indemne.
Le film est le très beau portrait d’une personne de l’entre-deux, touchant, tendre et parfois douloureux. New York en fond de scène et de galère est aussi un personnage déroutant.
24 heures à New York de Vuk Lungulov-Klotz, le 9 août au cinéma.