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Samedi 16 septembre 2023
Faire Justice. Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes de Elsa Deck Marsault (la fabrique). L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thiên Ân. Ronald Creagh : rencontre avec Jean-Jacques Gandini
Article mis en ligne le 18 septembre 2023

par CP

Faire Justice
Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes

Elsa Deck Marsault (la fabrique)

Rencontre avec l’autrice

L’Arbre aux papillons d’or
Film Pham Thiên Ân (20 septembre 2023)

Ronald Creagh : Évocation avec Jean-Jacques Gandini.

Faire Justice
Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes

Elsa Deck Marsault (la fabrique)

Rencontre avec l’autrice

« En tant que gouine [écrit Elsa Deck Marsault dès la première page de son ouvrage, terme discriminant s’il en est], j’ai longtemps navigué dans les communautés queer et féministes, et ai été témoin de nombreux processus d’exclusion et d’acharnement collectif — sur les protagonistes d’un conflit politique, sur des personnes victimes comme autrices de violence ou sur leur entourage. Je ne compte plus les témoignages écrits par des personnes exclues de leur milieu après des années de lutte ; ni ceux rédigés par les proches après des suicides de personnes militantes. »

C’est un constat qui débouche évidemment sur la manière de gérer les conflits et les abus sans rejouer les mécanismes d’un système pénal qui occupe une place centrale dans la production de la violence à travers le monde. Ces questions traversent depuis longtemps les mouvements militants en général, et LGBTQI+ en particulier, et cela d’autant plus depuis que le phénomène MeToo qui les place au centre des débats politiques. Comment se passer alors « du système judiciaire qui, dans sa forme actuelle, est punitif plutôt que transformatif, reproduit les rapports de domination et ne répond pas assez aux besoins des victimes. […] Si l’intention est louable, son application concrète l’est moins, bien souvent par manque de temps et d’énergie à dédier à la recherche et à la mise en place d’outils appropriés. » Parfois, les militant·es pour la justice sociale et pour l’abolitionnisme pénal en viennent à faire pire que la police en termes de violence.
En se saisissant d’exemples concrets rencontrés au gré de son militantisme et en analysant les théories abolitionnistes, Elsa Deck Marsaut propose dans Faire justice des pistes pratiques pour élaborer une justice transformative inventive, capable de prendre soin des victimes et de transformer les individus afin de freiner, sinon de stopper le cycle des violences.

Elsa Deck Marsault a co-fondé en 2019 le collectif Fracas, collectif queer et féministe d’entraide militante à la prise en charge des conflits et des violences en milieu intra-communautaire. Son ouvrage met donc en avant des pistes pratiques de réflexions ainsi qu’une analyse approfondie des faits.
Faire Justice
Moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes

Elsa Deck Marsault (la fabrique)

L’Arbre aux papillons d’or
Film Pham Thiên Ân (20 septembre 2023)

Un jeune homme, Thien, vivant à Saigon et faisant la fête avec ses amis, voit sa vie brusquement bouleversée par la mort accidentelle de sa belle-sœur. En l’absence de son frère, il est chargé de ramener le corps dans leur village natal ainsi que d’accompagner son très jeune neveu qui a échappé de peu à l’accident de moto. Le périple va s’apparenter à un retour aux origines en même temps qu’une remise en question de son mode de vie. Thien est en total décalage entre la vie urbaine qu’il mène et celle plus lente et traditionnelle de son village. La prise de conscience est brutale et profonde. Et c’est également au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne et du changement qu’il perçoit en lui, que Thien part à la recherche de son frère aîné, disparu depuis des années.

L’Arbre aux papillons d’or est une introspection, un voyage qui « reflète les dimensions de l’âme humaine, quelque chose que nous recherchons constamment mais que nous ne pouvons jamais atteindre complètement, quelque chose lié à nos rêves, à nos passions et à l’inévitabilité de la mort. » Autrement dit, le vrai sens de la vie, quel est-il en fait ?
Revendiquant les influences de Luis Buñuel et Bela Tarr sur sa vision très personnelle du cinéma, Pham Thiên Ân explique sa manière de concevoir et de réaliser un film : « j’essaie d’abord de convaincre le public en l’entraînant dans une histoire réaliste et logique. Ensuite, je lui laisse le temps de se familiariser avec les personnages. Et une fois que les spectateurs se sont suffisamment imprégnés des personnages, je les entraîne dans un monde intérieur plus profond, comme dans un sommeil “paradoxal“. Lorsque le rêve est complètement construit, je les amène plus loin encore dans le monde surréaliste. Nous sommes souvent hypnotisés par ce que nous pensons savoir, alors que nous ne le savons pas. » Ainsi, il fait jouer des comédien.nes non professionnel.les, s’attache à tourner dans des lieux réels et à privilégier une lumière naturelle, avec des plans longs qui installent les protagonistes dans une situation, afin de souligner le côté réaliste et même documentaire des scènes. Par exemple pendant la cérémonie funéraire. Et lorsque « le public s’identifie au personnage, qu’il est immergé dans le voyage qui se déroule à l’écran et qu’il partage avec lui les mêmes battements de cœur, le temps réel disparaît. Le public vit alors réellement à l’intérieur du cadre et fait l’expérience du temps qui passe dans le film. Je pense que c’est aussi à ce moment-là que la frontière entre réalisme et surréalisme s’estompe. » D’où cette impression de voyage intérieur vécu par le personnage principal (et le public) et l’idée de pénétrer les coutumes du village après avoir perçu les différences drastiques avec la vie superficielle que le jeune homme vit à Saigon.

Par ailleurs, confie le réalisateur, il fallait « trouver l’équilibre dans chaque plan, afin que la synchronisation des mouvements de la caméra et des personnages soit aussi naturelle que possible. Les points de départ et d’arrivée de chaque plan sont soigneusement cadrés. Parfois, j’ai ajouté quelques lignes ou apporté des modifications au scénario pendant le tournage pour tenir compte des limites ou des possibilités de mouvement des acteurs et de la caméra sur les lieux de tournage. Les gros plans apparaissent généralement à la fin des plans, lorsque les personnages ont suffisamment de temps dans le cadre. Ils peuvent évoquer les émotions les plus fortes dans la scène. En outre, ce mode d’expression m’a permis de créer des niveaux de contraste entre les personnages humains et l’environnement naturel, et d’ajouter plus de sens à l’univers de l’histoire. »
L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thiên Ân est un film à la fois empreint de magie mystique tout en montrant une réalité qui, si elle se situe ici au Vietnam, est complètement universelle. C’est un voyage intérieur qui interroge le sens de la vie et de la communauté avec les autres, c’est un film d’une grande originalité.
L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thiên Ân est à voir le 20 septembre 2023.

Rencontre avec Jean-Jacques Gandini pour évoquer Ronald Creagh.