Chroniques rebelles
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Samedi 19 février 2022
Les Poings desserrés de Kira Kovalenko. À nos enfants de Maria de Medeiros. Sous le ciel de Koutaïssi d’Alexandre Koberidze. La Légende du roi crabe d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis. Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm. Le Chêne de Laurent Charbonnier et Michel Seydoux. Un Peuple d’Emmanuel Gras. Les graines que l’on sème de Nathan Nicholovitch. Voix du théâtre en Palestine. Entretiens et photographies de Jonathan Daitch. Noir et Rouge (n°7)
Article mis en ligne le 22 février 2022

par CP

Les Poings desserrés
Film de Kira Kovalenko (23 février 2022)

À nos enfants
Film de Maria de Medeiros (23 février 2022)

Sous le ciel de Koutaïssi
Film de Alexandre Koberidze (23 février 2022)

Les Poings desserrés
Film de Kira Kovalenko (23 février 2022)

Dans une ancienne ville minière
en Ossétie du Nord, une jeune fille, Ada, tente d’échapper à la mainmise pesante d’une famille à laquelle elle est cependant profondément attachée. Un récit très personnel et troublant dont Kira Kovalenko explique d’ailleurs la genèse : « Dans son roman, L’Intrus, William Faulkner écrit que personne ne peut survivre à la liberté. 
Ce concept de liberté vue comme un fardeau m’a rappelé un autre fardeau, celui qu’est la mémoire. Comment peut-on être vraiment libre de sa mémoire et survivre ?
 J’ai fouillé au plus profond de mes souvenirs et réfléchi à ce fardeau que je traîne depuis si longtemps, cet événement qui m’a fracturée, traumatisée
et qui a touché tant de gens autour de moi.
 C’est ainsi qu’est née l’histoire du film. Il parle de
 ceux qui ont survécu à cet événement et qui, des années plus tard, font face au traumatisme en eux, qui les marque et qui bouleverse leurs rapports familiaux. Tenter d’oublier devient un acte de
violence. Une violence pourtant née de l’amour. » […] J’ai grandi dans le Caucase avec des rapports homme-femme très particuliers. Néanmoins, ce mouvement #metoo, j’ai l’impression d’avoir grandi avec, d’être née avec, car j’ai toujours ressenti une certaine résistance à l’intérieur de moi-même. Les mœurs, la mentalité, les rapports homme-femme sont vraiment différents dans le Caucase et, bien que je sois russe – ou plutôt métisse –, j’ai grandi dans ce contexte. Et donc ce n’est pas tant le mouvement #metoo qui m’inspire, que ce que je vois autour de moi dans le Caucase, ce que j’en sais et combien c’est compliqué pour les femmes ici. Même si c’est encore plus compliqué au Daghestan ou en Tchétchénie, on apprend que des choses vraiment déplorables se passent dans tout le Caucase. Je pense que tout ça a eu une influence sur le film, car j’ai grandi ici et je ne connais rien d’autre. »

Cet éclairage de la réalisatrice donne au récit une toute autre perspective vis-à-vis des personnages du film, autour d’Ada, qui vivent dans une ville déglinguée depuis la fermeture des mines, avec des tours au loin, sorte de rempart dissimulant sans doute la mémoire d’une autre ville… On a soudain l’impression d’être dans le nouveau film de Jean-Baptiste Thoret, Michael Cimino, un mirage américain. Pour Deer Hunter, Michael CImino avait filmé dans une petite ville semblable, même si elle est outre Atlantique. Une petite ville que Thoret montre quelques décennies après le tournage. Une petite ville désertée, tout aussi triste, laide et nostalgique d’un passé industriel. À cela s’ajoute le contexte d’oppression politique existant dans les pays du Caucase. Une oppression illustrée par le lieu, mais également par ce que vit Ada, jeune fille coincée entre un père étouffant sous prétexte de la protéger, un jeune frère qui souffre de déficience mentale et un amoureux. Seul son frère aîné, Akim, représente pour elle un espoir de partir, mais il n’est pas là.

De plus, Ada souffre des conséquences d’une blessure subie lorsqu’elle était enfant. Rien n’est explicité dans le film, mais l’on comprend qu’il s’agit d’un attentat dans une école, événement dont on ne parle pas. Akim est le seul à l’amener voir le médecin, les autres hommes de la famille s’accommodent très bien de cette blessure qui leur promet la présence de la jeune fille et de son devoir filial obligé. L’enfer, c’est les autres, c’est certainement le cas ici d’autant qu’Ada est prise entre son désir de partir et son attachement à la famille. La mise en scène, dans cet environnement encaissé entre constructions de type soviétique et montagnes, le jeu de la comédienne incarnant Ada, celui des comédiens qui l’entourent, professionnels et non professionnels, accentuent encore le sentiment d’oppression et la violence allant crescendo tout au long de l’intrigue.

Kira Kovalenko parle de l’influence de Fassbinder, de Pasolini et de beaucoup d’autres cinéastes, ce qui est certain c’est qu’elle a déjà un style bien à elle, impressionnant.

Les Poings desserrés de Kira Kovalenko au cinéma le 23 février.

À nos enfants
Film de Maria de Medeiros (23 février 2022)

Vera, une femme qui a combattu la dictature brésilienne dans les années 1970, s’occupe aujourd’hui à Rio d’un orphelinat pour enfants séropositifs. Sa fille, Tania, essaye depuis plusieurs mois, avec sa compagne, Vanessa, d’avoir un enfant par PMA (procréation médicalement assistée). Entre la mère et la fille, un fossé s’est creusé. D’un côté, la mère militante, de l’autre, sa fille, plus individualiste, qui désire simplement vivre bien avec sa compagne.
Le film est tiré d’une pièce de théâtre de Laura Castro, qui joue le rôle de Tania dans le film. « J’ai reçu la pièce en 2013 [explique Maria de Medeiros]. C’est un dialogue entre une mère et sa fille, un long dîner assez arrosé. La mère est tout sauf une conservatrice, elle est passée par la guérilla, la prison, la torture, l’exil. Aujourd’hui elle s’occupe d’orphelins séropositifs. Quand sa fille vient lui annoncer qu’elle attend un bébé, la mère pense d’abord qu’elle est désormais hétérosexuelle. Non, lui répond sa fille : le bébé est dans le ventre de ma compagne. Et c’est la limite de l’ouverture d’esprit de cette mère... J’avais trouvé la pièce intéressante parce que c’est un dialogue entre deux personnages très intelligents, qui ont des arguments très valables des deux côtés.
Je ne connaissais pas Laura Castro, ni comme auteure ni comme actrice, la pièce m’a appris beaucoup de choses sur les enfants dans les couples gay, sur les nouvelles formes de parentalité dans un Brésil confiant, où chacun avait des projets d’avenir, pour la société ou pour soi. J’ai été aussi agréablement surprise de voir, comment par rapport à l’Europe, il était facile pour une jeune compagnie de mettre sur pied un spectacle, et de faire venir une actrice de l’extérieur. Le rôle de la mère avait été écrit pour la comédienne Marieta Severo, qui est une icône au Brésil – et qui a aussi été la femme de Chico Buarque ! Mais elle n’était pas libre et je l’ai remplacée. Sans avoir l’âge du rôle, mais, au théâtre, il est assez facile de vieillir, notamment par la voix, le travail corporel. Nous avons tourné ce spectacle pendant trois ans à travers le Brésil, avec des pauses, bien sûr. Et pour le film, j’ai cédé ma place à Marieta Severo.
 »

Pressentant le potentiel cinématographique de la pièce, Maria de Medeiros propose alors à Laura d’écrire un scénario. «  Le tournage a eu lieu en 2018. Il s’est achevé précisément entre les deux tours de cette terrible élection présidentielle, quand la menace Bolsonaro se précisait. Je me souviens un jour d’être arrivée sur le plateau et d’avoir découvert l’équipe en pleurs face à ce qui était en train d’advenir. Le scénario du film s’est d’ailleurs assombri progressivement, à mesure que les nuages s’amoncelaient sur le pays. » La descente de militaires dans l’orphelinat même, sous prétexte de recherche de suspects annonce une militarisation accrue de la société brésilienne, qui s’est amplifiée depuis. Et l’on sent dans la manière dont ils traitent les enfants que la marge de suspicion est large pour eux. Il faut dire que Rio est une ville particulière et fascinante où les favelas et la misère côtoient les maisons de la classe moyenne et bourgeoise. Cette montée de la violence politique explique aussi la rémanence des cauchemars de Vera. Elle a été emprisonnée, torturée, alors qu’elle était enceinte d’un enfant avant d’avoir sa fille. On lui a retiré son bébé pour l’empêcher de le nourrir et elle est hantée par le souvenir de ce premier enfant.

La réalisatrice qui s’est entretenue avec des survivantes de la dictature brésilienne, a appris les pratiques des tortionnaires et les sévices qu’ils réservaient aux femmes prisonnières, sévices qui avaient souvent à voir avec des animaux. L’une des survivantes raconte « qu’ils la prenaient au milieu de la nuit, l’emmenaient dans un zoo et la jetaient dans une cage avec des fauves. C’était la nuit, elle ignorait de quel animal il s’agissait, réellement, lion ou tigre.... On la mettait dans la cage, on l’en retirait, on l’y remettait. La poche des eaux qui éclate et attire des centaines de cafards, c’est arrivé ; le crocodile placé sur des femmes nues, cela vient aussi de témoignages... Pour Vera, il s’agit donc peut-être autant de cauchemars que de souvenirs. [Les] cafards figurent aussi l’arrivée du fascisme actuel au Brésil. J’ai eu l’impression que les Brésiliens ont parfois été les derniers à se rendre compte de ce qui leur arrivait, c’était tellement clair pourtant, que des égouts sortaient des files de Nazis... C’est le sens de cette séquence où l’on voit des pieds nus croisant des colonnes de cafards. »

Vera rencontre alors un homme qui veut l’interviewer sur cette période, il se présente comme le fils de sa compagne de cellule, celle qui l’a aidée à accoucher. Tout son passé resurgit brusquement, enfouie dans sa mémoire, et en plus, l’homme porte le nom Sergio, celui de son fils disparu. Comme le souligne Maria de Medeiros, « une constante dans les témoignages des personnes dont des proches ont été portés disparus, c’est cette souffrance de ne pas savoir, d’attendre une vie entière que, par le plus improbable des miracles, la personne perdue soit retrouvée. Vera ne s’entend pas avec sa fille, elles ont des rapports conflictuels, arrive ce fils parfait, de gauche, prof d’université, qui s’intéresse à elle, à son histoire. Tellement parfait, obéissant tellement au désir de Vera que la question se pose : peut-il exister réellement ?  »

À nos enfants, va bien au-delà du problème non réglé mère/fille et les jugements de part et d’autre. Le film expose la montée de la violence d’État, rappelle les traumatismes vécues au moment de la dictature. Et même si Tania est une jeune femme privilégiée et plus conservatrice que sa mère, cela ne la met pas à l’abri de cette violence, sa revendication d’être lesbienne et mère n’est pas simple au Brésil, pays où l’on tue le plus de personnes transexuelles et où la violence contre toute forme d’homosexualité est très vive. De plus, cela n’est pas dit dans le film, mais les évangélistes y sont extrêmement prolifiques et les milices sont nombreuses…
À nos enfants de Maria de Medeiros sort en salles le 23 février.

Sous le ciel de Koutaïssi
Film de Alexandre Koberidze (23 février 2022)

C’est tout d’abord une rencontre fortuite dans les rues de Koutaïssi, des pas et un coup de foudre inattendu au point que Lisa et Giorgi n’ont même pas l’idée d’échanger leur nom. Avant de poursuivre leur chemin, ils décident cependant de se retrouver le lendemain, près d’un café. Mais tout se complique et peut-être est-ce un coup du mauvais œil… D’ailleurs souligne Alexandre Koberidze, « mon histoire ne porte pas seulement sur le mauvais œil, mais aussi, de manière générale, sur les forces bonnes et mauvaises, qui semblent avoir été exclues de notre monde matérialiste, et qui se manifestent pourtant de temps à autre. Je m’intéresse à l’inexplicable et à la place qu’occupent ces phénomènes dans la vie quotidienne. L’attraction de deux personnes l’une pour l’autre est une chose tellement inexplicable.
Comment se tisse le lien qui unit deux personnes et pourquoi est-ce si douloureux lorsque ce lien se rompt ? Personne ne le sait vraiment. Pour moi, la métamorphose dans le film n’est pas tant une allégorie ou une métaphore, mais quelque chose qui se passe sous nos yeux, tout le reste est une question d’interprétation.
 »

Koutaïssi, c’est la ville des enfants et le film commence avec une sortie d’école, et puis, il y a la préparation d’un tournage avec la recherche de couples pour un casting et le travail de l’assistante de réalisation qui ne déclare jamais forfait malgré les difficultés… Là on parle de cinéma puisqu’il y a même un laboratoire pour la pellicule à Koutaïssi. Et le marchand de glaces qui en mime la fabrication. Ah oui, les gosses sont toujours présents, mais y a-t-il quelque chose de plus beau que de filmer les gosses ? « Peut-être les chiens ? [se dit le réalisateur] En ces temps si tristes, l’existence exemplaire des chiens avec leur dévouement, leur honneur et leur dignité est pour moi une véritable consolation lorsque nos chemins se croisent. Dans mes films, j’essaye de leur donner un peu de place pour les remercier. » Les chiens sont en effet extraordinaires dans le film, ils sont libres, s’intéressent aux matches de foot sur les écrans des cafés, Vardy, par exemple, un vrai fan du ballon rond !

Fin de la première partie du film, des mômes jouent une partie de foot, avec quelques ralentis, et la balle s’envole jusqu’à la rivière, essentielle dans la ville et le récit.

Cette balle qui poursuit son chemin ailleurs, c’est une excellente transition pour la seconde partie du film… Vous l’aurez compris, il se passe beaucoup de choses dans cette ville, où coule, au centre, la rivière, beaucoup d’histoires, d’anecdotes, mis à part la rencontre des deux amoureux… La vie quoi. Mais alors, dans cette balade géorgienne, où sont Lisa et Giorgi ? Est-ce un couple maudit à peine leur coup de foudre fut réciproque ?

Koutaïssi, c’est d’abord la ville des enfants, et le film exprime parfaitement la relation entre fiction et réalité, entre création cinématographique et public… Le titre international du film est What do we see when we look at the sky ? (Que voyons nous quand nous regardons le ciel ?), c’est un titre plus ouvert peut-être… Autrement dit, Alexandre Koberidze laisse-t-il le public imaginer son idée de la Géorgie d’aujourd’hui ? Ou bien le déroulé du film peut-il influencer notre vision de la société géorgienne ? Le film installe le public dans la ville de Koutaïssi, dans le temps des personnages ancrés dans une réalité sociale. Est-ce un temps suspendu ? Qui sait ? Et les amoureux ? Il faut attendre le 23 février pour le savoir.

Ils sont vivants
Film de Jérémie Elkaïm (23 février 2022)

Veuve depuis peu, Béatrice vit avec son fils et sa mère. Le film démarre par une scène de funérailles qui bouscule quelque peu les traditions du drame classique, le cercueil est trop grand pour le caveau et le discours de convenances se fait au son des coups de burin. Un discours d’ailleurs abrégé par la veuve qui propose de le terminer chez elle. Le défunt était flic et Béatrice, sa compagne, est aide soignante. Très vite, on apprend au hasard des réflexions de Béatrice qu’il était de vingt ans son aîné, qu’il était alcoolique et la frappait. Fin de l’épitaphe.
On comprend mieux la brusquerie de Béatrice et son envie d’expédier certains souvenirs. Sur le parking de l’hôpital consacré à la gériatrie où elle travaille, un soir, elle renverse un jeune noir qui crève de froid et, après quelques hésitations, décide de le ramener au camp de réfugié.es — la jungle de Calais —, et cela malgré ses préjugés. Premier choc lorsqu’elle arrive sur place, mais elle traite quand même le gamin de « sale race » lorsqu’il part avec le blouson de son mari resté dans la voiture.

La « jungle », voilà un endroit dont Béatrice ignorait tout, tout sauf les blagues racistes des amis de son mari défunt. Un de ses proches lui dit qu’au poste, ils ont mis sa photo en uniforme au mur : « ah ouais, c’est mieux qu’une photo de lui crevant de sa cirrhose du foie », dit-elle cash en guise de commentaire. Béatrice est comme ça : directe et parfois sans filtre, dans tous les cas sincère. Dès son retour de la jungle, elle vide le placard des affaires de son mari, et le lendemain y retourne, rencontre des bénévoles, découvre une réalité ignorée, des gens qui ont du fuir, qui voyagent depuis des années, qui ont tout perdu, leurs biens, leur famille, des réfugiés aux lèvres cousues, et les accidents dont sont victimes ceux qui tentent toutes les nuits d’atteindre l’Angleterre. Du coup, son ancien milieu, celui de son flic de mari, avec les habituels a priori sur les étrangers et en particulier sur les migrants lui sautent en quelque sorte à la figure, l’insupportent. Elle prend ses distances et sa prise de conscience se fait peu à peu au contact des migrants et est de plus en plus attentive à leur réalité.

Sa rencontre avec Mokhtar, enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe, va encore plus bouleverser son quotidien et ses convictions. Pourtant, Béatrice n’a aucune envie de complication amoureuse dans sa vie, son fils, sa mère et sa vie professionnelle lui suffisent amplement, et puis « j’ai déjà donné » dit-elle en faisant allusion à son ancienne vie matrimoniale. Alors elle réprime l’attirance qu’elle éprouve vis-à-vis de Mokhtar. Comme l’explique le réalisateur, il s’agissait de « faire vivre les échanges de regard et l’attirance à fleur de peau des personnages, [et] ça permettrait de mettre le politique dans la chair et l’inconscient du film. Le fait que ce soit le désir charnel et l’acte sexuel qui unissent Béatrice et Mokhtar rend absurde et révoltante l’idée que les lois et les frontières les séparent. Cette puissance politique du désir et des corps m’a passionné. Quand deux corps se rencontrent que deviennent les frontières et les lois ? Plus besoin de tenir un discours. »

Très belle histoire de séduction, d’amour, mais également de la prise de conscience d’une femme simple, nature et parfois très directe, incarnée par une Marina Foïs étonnante de spontanéité aux côtés de Seear Kohl, quasi muet, mais tout en séduction. Inspiré du livre de Béatrice Huret, Calais mon amour, le film dégage à la fois une très grande sensualité et une pureté dans les caresses et les scènes d’amour. Mokhtar ne manipule pas Béatrice, il dit ce qui est avec franchise, tendresse et respect. C’est certainement une découverte pour Béatrice qui n’a jamais connu ou senti le regard d’un homme sur elle de cette manière, entre séduction et attention.
Ni caricatural, ni moralisant, Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm est une ode à la liberté d’une femme.
Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm au cinéma le 23 février

Lettre au ministre par Jeanne Moreau

La Légende du roi crabe
Film de Alessio de Righi (23 février 2022)

Dans un gîte de la campagne italienne, des chasseurs du coin ont coutume de se rencontrer pour manger un morceau et boire ensemble. C’est aussi l’occasion pour eux de chanter et de raconter des histoires locales. Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis s’en inspirent et, à plusieurs reprisent, ces histoires deviennent des films. S’ils étaient méfiants au départ vis-à-vis des deux cinéastes, les chasseurs se sont au fur et à mesure intéressés à leur démarche et « ils sont ainsi devenus plus acteurs. Ils ont commencé à nous suggérer des idées. Aujourd’hui ils sont beaucoup plus à l’aise devant la caméra qu’il y a sept ans. C’est désormais une vraie collaboration. » Et cette fois, les vieux chasseurs, après quelques libations et autres chants, se remémorent l’histoire de Luciano, le héros de La Légende du Roi Crabe.

Luciano était fils de médecin, mais il était aussi un ivrogne invétéré errant dans son village, amoureux d’Emma et sans cesse opposé au pouvoir du prince. Or, en ces temps-là, il y avait les pauvres et les princes. Seule l’autorité et le bon vouloir du prince comptaient et les autres, les paysans n’étaient rien et devaient se soumettre. Rebelle à cet état de fait, Luciano n’hésite pas à enfreindre ces lois arbitraires et à braver directement le prince. Outre cela, la rivalité entre les deux hommes est alimentée par l’amour pour Emma et la jalousie. À partir d’une fête religieuse où Emma est invitée par le prince à représenter une sainte, les événements s’enchaînent rapidement… Luciano apostrophe le prince, ses soudards lui tirent dessus, Luciano incendie une porte et Emma est violée. Pour échapper à la justice, Luciano, blessé, est contraint à l’exil et son père organise son voyage vers la Terre de Feu, au sud de l’Argentine. fin du chapitre premier.

La Légende du Roi Crabe est le premier film de fiction des deux cinéastes et comme ils l’expliquent, les défis étaient nombreux, d’abord ils ont « peu d’informations sur ce personnage, sur l’époque précise des événements. Nous en avions moins encore sur ce qui lui est arrivé en Amérique. Il a fallu tout imaginer. C’est peut-être pour cela que nous avons progressivement basculé du documentaire vers la fiction. […] Nous aimons tous les deux les films de Monte Hellman, Mikhaïl Kalatozov, Akira Kurosawa... Dont on peut facilement repérer certains éléments dans La Légende du Roi Crabe. Sans doute, partageons-nous une certaine idée du cinéma d’auteur. Ou plutôt, il faudrait dire que nous partageons l’idée selon laquelle le cinéma d’auteur n’est pas un genre cinématographique en soi. Ce qui nous intéresse, comme auteurs, c’est d’explorer le cinéma de genre. Dans la partie italienne et dans la partie argentine, nous nous sommes amusés à revisiter des figures et des scènes typiques du western. Du western, nous plaît entre autres l’idée qu’un lieu très égaré, un village peut devenir le cœur d’une histoire mythique. C’est la force du récit. La Légende du Roi Crabe part d’un lieu minuscule, un gîte où se retrouvent des chasseurs. Mais pour arriver au bout de l’histoire, il faut aller au bout du monde, en Terre de feu. »

C’est quelques années plus tard que l’on retrouve l’infortuné Luciano sur une terre perdue… Et ce deuxième chapitre devient un western. Dans une nature hostile, il est entouré de chercheurs d’or cupides, en quête d’un mystérieux trésor enfoui dans un lac mythique au milieu des montagnes, Luciano est guidé par un crabe imaginé pour les besoins de la légende, un élément surréel et magique. Comme dans les légendes, la part de l’imaginaire est grande et les « versions ont des éléments communs et des variations. C’est très clairement [soulignent Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis] ce qui nous intéresse dans notre travail de cinéastes : repérer ces arborescences. Plus encore, il nous intéresse de les entretenir et de les prolonger. La tradition culturelle n’est pas une chose morte ou achevée. » Et bien sûr le crabe en fait partie. Pour la bande son, ils ont suivi la même démarche, ils ont fait dialoguer musiques traditionnelles et son évolution.

La Légende du Roi Crabe, par la beauté des images, la narration onirique et l’espace temps indéfini, laisse une impression de rupture avec les codes actuels pour renouer avec du très grand cinéma italien. La magie du récit rappelle Bella et Perduta de Pietro Marcello (2015), ou encore le film récent de Laura Samani, Piccolo Corpo. Oui, des films magiques…
La Légende du Roi Crabe est sur les écrans le 23 février.

Le Chêne
et ses habitants

Film de Laurent Charbonnier et Michel Seydoux (23 février 2022)

Il était une fois… Oui, c’est l’histoire d’un chêne, vieux de 210 ans, un patriarche de chêne abritant plusieurs tribus, aussi différentes que colorées, depuis les tréfonds de la terre, entre ses racines, jusqu’au fait de cet arbre impressionnant, où se sont installés des écureuils, des oiseaux, des insectes…

C’est Le Chêne et ses habitants, lui il est majestueux, imposant, dominant la forêt tandis que tout un monde grouille sur lui, sous lui, autour de lui… Évidemment il le nourrit ce petit monde, leur offrant le gîte et le couvert de glands. Et il y a aussi les invités de passage, les sangliers et autres jeunes marcassins… Bien contents de manger quelques glands et de se frotter à son écorce.

Le but avoué des auteurs du Chêne était de faire d’un documentaire un film de fiction, en attribuant les rôles aux différents personnages, en jouant sur le suspens, la ligne narratrice étant rythmée par les saisons, les transformations, les accidents, les éléments de la nature…

Un vrai film d’aventures spectaculaires avec les surprises que réserve l’immense richesse de l’univers et un casting d’enfer : écureuils, balanins (je ne savais ce que c’était, mais c’est à découvrir), geais, fourmis, mulots… Des images superbes et une jolie bande son avec la chanson de Tim Dup, Et tu restes.

Le Chêne et ses habitants, c’est pour tous les âges et c’est en salles le 23 février 2022).

Un Peuple
Film d’Emmanuel Gras (23 février 2022)

Extrait d’entretien avec Emmanuel Gras

Sur écran noir, au son : Macron est Interpellé, bafouille un peu et répond par un slogan : « Moi je crois dans une République du mérite et du travail. » Et c’est ce que vous représentez ?! Des balbutiements de campagne électorale ?

La chanson de Nino Ferrer, la Maison près de la fontaine, accompagne une balade dans la ville de Chartres, plutôt dans la périphérie, la zone commerciale… La maison près de la fontaine, pano et zooms sur les zones pavillonnaires, les HLM, vue aérienne de la ville. De loin, un rond-point la nuit.
2018, Le gouvernement annonce l’augmentation de la taxe sur le prix du carburant, c’est la goutte d’eau qui fait déborder un ras-le-bol général installé depuis longtemps. Et c’est un soulèvement spontané, sans leader, ni organisation…
Les Gilets jaunes. Une mobilisation générale durant laquelle les gens se parlent, ne ressentent plus la honte de dire leur misère, leurs difficultés : « On demande la justice », « on se bat pour tout le monde ». C’est une lutte collective sans direction, ni chef. Pour cette raison, il fallait évidemment décrédibiliser ce mouvement.

Les Gilets jaunes sont très vite diabolisés par les autorités et les médias, comme on pouvait s’y attendre car ce type de mouvement, qui échappe au contrôle, fait peur… Et voilà que les classes dangereuses déboulent dans les beaux quartiers parisiens… LCI, BFM et les autres se déchaînent… Ah non pas question de toucher aux symboles du pouvoir, du fric et d’un nationalisme guerrier ! Pourtant taguer ce monument ouvertement à la gloire de la guerre, c’est comme l’envelopper dans du plastique… En revanche, les blessé.es pendant les manifestations, la violence policière programmée, les provocations… ça c’est insupportable ! Les Gilets jaunes : c’est finalement une prise de conscience extraordinaire et spontanée de l’injustice sociale…

Un Peuple d’Emmanuel Gras au cinéma le 23 février 2022)
Retrouvez le film d’Emmanuel Gras et les rendez-vous débats sur la page Face Book : Un peuple, le film
unpeuplefilm@gmail.com

Les graines que l’on sème
Un film de Nathan Nicholovitch

Accusée d’avoir tagué MACRON DÉMISSION sur un mur de son lycée, Chiara n’est pas sortie vivante de sa garde à vue. Bouleversés, ses camarades de classe décident alors de prendre la parole... Le film sort finalement le 23 février.
Voilà une classe qui ne se tient pas sage… Et c’est vivifiant !

Voix du théâtre en Palestine
50 artistes témoignent

Entretiens et photographies de Jonathan Daitch (éditions Riveneuve)
Lectures par Sandrine Malika Charlemagne
Sur des musiques du Trio Jubran et la chanson Nujoum.

©Freedom Theater


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