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Samedi 24 décembre 2022
Les OFNI du cinéma fantastique & de SF (…et quelques réalisateurs) d’Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane. Caravage de Michele Placido. Joyland de Saim Sadiq.
Article mis en ligne le 18 décembre 2022
dernière modification le 13 décembre 2022

par CP

Les OFNI du cinéma fantastique & de SF
(…et quelques réalisateurs) d’Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane (éditions Terre de brume)

Entretien avec les auteurs.

Caravage
Film de Michele Placido (28 décembre 2022)

Joyland
Film de Saim Sadiq (28 décembre 2022)

Les OFNI du cinéma fantastique & de SF
(…et quelques réalisateurs) d’Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane

Entretien avec les auteurs

Rencontre avec deux adeptes des films étranges… Alain Pozzuoli, on le connaît pour son goût des vampires et sa connaissance de Bram Stoker et Philippe Sisbane est réalisateur…
Les Ofni du cinéma fantastique et de science fiction… Finalement c’est quoi un ofni ? Un chef d’œuvre déroutant, un film de série B n’hésitant pas à jouer sur les outrances, un film culte, une réalisation décalée ou en avance sur son temps, œuvres de réalisateurs et de réalisatrices hors normes, refusant les codes de l’industrie cinématographique ou l’air du temps ? La liste est longue de ces objets filmiques non identifiés… Ça laisse de l’espace à l’imagination et aux questions que se posent d’ailleurs les auteurs : Est-ce « un film invisible ? Un horrible nanar ? Une série z épouvantable ? Une tache sur le blanc pourpoint de la cinématographie dite sérieuse ? Tout cela à la fois, certes... mais pas seulement ! »

Pour le coup les chroniques ont concocté une liste tout à fait subjective en parcourant au hasard les pages du livre, les images se mêlant bien entendu aux souvenirs personnels avant de rencontrer Alain Pozzuoli et Philippe Sisbane qui s’accordent pour dire que l’Ofni n’a pas de véritable nationalité, si ce n’est celle de l’étrange et de la singularité. Évidemment quelques oublis dans notre discussion, dont un très important, le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, merveille de fantastique politique. Mais ce qu’il y a de bien dans cette rencontre, c’est que les avis divergent et sont accompagnés par des illustrations musicales en osmose avec les Ofni…

Illustrations musicales et extraits de BOF : La Jetée de Chris Marker, Only Lovers Left Alive, Funnel of Love de Jim Jarmush, une composition Guillaume Martel, Sweet Tranvestite de la BOF Rocky Horror Picture Show, Qierro ser libre, BOF La Belle et la bête de Cocteau (musique de Auric) Le Miroir et le gant, BOF Vertigo de Hitchcock (musique de Hermann), BOF Brazil de Terry Gilliam, Power Station et Ducting Dream, BOF Under the Skin (musique de Mica Levi), BOF The Wicked Man, Appointement With the Wicker Man, BOF After Blue (Paradis sale) de Bertrand Mandico, BOF La Jetée, Girl theme.

Caravage
Film de Michele Placido (28 décembre 2022)

Caravage est un film violent et trouble à l’image même donnée du peintre… tout en clair obscur. Ses œuvres sont fascinantes, tant par la lumière, le mouvement et les sujets religieux qu’il subvertit par son naturalisme de manière géniale, il peint avec fougue et passion, mais trop proche sans doute de la réalité sociale de son époque pour ne pas éveiller la réprobation de certains. « Peindre le réel », c’est ce que donne à voir Michele Placido par le choix qu’il fait dans son film d’aller au-delà d’une représentation parfaite de l’image. Certes, la lumière de Caravage habite le film, mais avec la nuance essentielle de ne pas se cantonner au simplement beau, mais représenter aussi le sordide, la boue, le sang, la saleté, la pauvreté… Placido se cale sur la démarche de Caravage à qui l’on reproche de semer le doute avec ses tableaux : « Vous peignez la mort et la maladie, le chaos ».

L’idée du film remonte à 1968, confie le réalisateur, « lorsque, récemment arrivé à Rome, je passais mes après-midi Piazza Campo de’ Fiori avec mes collègues du Conservatoire. L’histoire de la ville, le souvenir de Giordano Bruno, un moine dominicain et philosophe qui fut exécuté sur cette place, […] ont fait rêver à des projets futurs ayant pour cadre cette période historique et cette ville-monde dans laquelle coexistaient la papauté, la noblesse et les misérables, où Caravage cherchait sa place. Le film que j’avais en tête rendrait toute l’authenticité du peintre avec ses vices et ses vertus, son humanité profonde et viscérale, et en même temps toute la vérité de son époque. Il raconterait la révolution d’un artiste terriblement gênant qui, dans une Rome pleine d’espions pro-français ou pro- espagnols, trouvait dans la rue ses compagnons de route — voleurs, prostituées, vagabonds — pour en faire, longtemps avant Pasolini, des modèles pour ses tableaux, transfigurés en saints et en madones, en icônes immortelles. »
Nous sommes en 1609, Le Caravage a du fuir Rome après une condamnation à mort suite à un duel où il a blessé mortellement son adversaire, un noble. Il se réfugie d’abord à Naples, soutenu par sa protectrice, la marquise Costanza Colonna, puis à Malte, sans cesser de tenter d’obtenir sa grâce du Pape. Cependant celui-ci diligente un inquisiteur, l’Ombre, pour enquêter sur la mort de l’homme, dont la famille réclame vengeance, sur la vie de Cravage, mais avant tout sur son œuvre jugée sacrilège et contre la morale de l’Église. Si le personnage de l’Ombre est fictif, il colle parfaitement avec l’ambiance de cette époque, ténébreux représentant d’un ordre fondamentaliste, jugeant par avance Caravage pour des outrances dans la vie, comme dans son art. Ne peint-il pas des saintes en prenant des prostituées pour modèles, en représentant le sacré sous les traits de misérables ?

L’homme de confiance du Pape, rejet de l’inquisition, va user de son pouvoir occulte pour traquer Caravage, l’isoler de ses soutiens, lui faire croire que le Pape lui pardonne et lui tendre un piège. Alors qu’il pense rejoindre Rome, il est débarqué dans une garnison militaire où l’Ombre lui fait face pour lui signifier sa condamnation et obtenir de lui une ultime abjuration : qu’il cesse de peindre des œuvres scandaleuses et hérétiques. « Vous avez peur de moi », répond Caravage en refusant. Le face à face est intense et Caravage, en choisissant sa liberté, signe aussi en toute conscience son arrêt de mort.
Sans doute le réalisateur a-t-il pris certaines libertés avec la biographie de Caravage, dont les historiens reconnaissent d’ailleurs qu’elle conserve encore bien des zones mystérieuses et inexpliquées, qu’importe ! Le film est superbe et offre une vision fascinante de ce début du XVIIe siècle italien, à travers les œuvres de Caravage, avec les bas fonds qui côtoient les fastes des palais et des églises. Le film de Michele Placido est une perception fulgurante du peintre disparu à 38 ans, servi par un casting éblouissant, notamment par Riccardo Scamarcio qui incarne le peintre, mais également par la mise en scène, les décors somptueux mais réalistes et les costumes.

Caravage de Michele Placido au cinéma le 28 décembre 2022.

Joyland
Film de Saim Sadiq (28 décembre 2022)

Joyland a déjà reçu plusieurs prix, le plus récent au festival Chéries-Chéries dont nous avons parlé avec Caroline Héraut, et il y en aura certainement d’autres à venir. Il faut dire que le film de Saim Sadiq réussit particulièrement dans le portrait d’une société patriarcale, et en cela, la critique dépasse aussi très largement les frontières, malheureusement. Pour les navrants problèmes de censure, certain.es y ont vu le fait qu’au Pakistan la population est à majorité musulmane et en ont déduit que c’était une caractéristique de cette religion, mais c’est là que réside la subtilité du film, on voit bien que le patriarcat, sa pression sous toutes ces formes, sa violence, est avant tout politique ; les États comme les religions s’en nourrissent et l’utilisent comme un pilier pour mettre les populations au pas. Au Pakistan, les droits des personnes transgenres sont en théorie protégés par la loi, mais en pratique, il en va autrement, la société les marginalise. L’hétérosexualité est la norme, comme la famille.

Haider et sa compagne Mumtaz habitent dans la maison familiale, à Lahore, sous l’autorité du père-patriarche, dont les deux fils ne peuvent en aucun cas discuter l’autorité. Haider est le fils cadet et s’occupe de la maison, de son père tandis que sa femme travaille comme elle l’a toujours désiré. Cet arrangement leur convient parfaitement, mais le père déclare que ce n’est plus possible, Mumtaz doit cesser de travailler et « faire » des enfants — enfin un fils —, parce que le fils aîné n’a que filles et que, du même coup, Haider doit trouver un boulot. Pour être un homme quoi ! Comme lui lance son frère.
La cohabitation familiale incessante et ces changements vont peser sur l’équilibre du couple Haider/Mumtaz, mais Haider doit s’exécuter ainsi que sa femme. Mumtaz le vit très mal, travailler pour elle était une porte de sortie pour échapper à cette maison où chaque moment d’intimité est exposé au reste de la famille. Outre le fait que cela bouscule les habitudes du couple, trouver un travail n’est pas simple, pourtant Haider en trouve un grâce à une connaissance, mais c’est dans une revue de cabaret, où il est censé danser dans un groupe de boys pour le spectacle d’une artiste trans, Biba. Mumtaz sera la seule à savoir et elle s’en amuse, mais il est hors de question d’en parler aux deux autres mâles de la maison, le père et le frère aîné. Haider ment donc et se dit directeur artistique sans donner plus de détails. Il apprend à danser, aidé par Biba, et peu à peu en devient très amoureux. De son côté, Mumtaz, qui a soif d’indépendance, n’en peut plus de rester continuellement dans cette maison, entre le père diminué et l’injonction d’être enceinte, elle n’a qu’une seule idée : échapper à ce rôle imposé. Sa belle sœur, à qui elle se confie, pense que c’est passager et propose à la famille une balade à Joyland, le grand parc d’attractions de Lahore. Mais cette soirée est fugace et le quotidien, étouffant, oppressant reprend le dessus. Quant à Haider, il ne se rend pas compte de la dépression de Mumtaz, tout à sa relation amoureuse avec Biba.

Saim Sadiq joue également avec l’humour des situations, les malentendus, les maladresses de Haider, ses mensonges, les bagarres de Biba pour imposer son spectacle, l’absurdité des conventions, la discrimination… Il réussit à décrire avec tendresse et acuité les sentiments des hommes, des femmes, des transsuel.les, les frustrations de chaque être, et, par là, faire éclater les normes sociales de l’attirance amoureuse. On ne naît pas femme, on le devient, on mesure la justesse de la phrase de Simone de Beauvoir en voyant le film de Saim Sadiq, où la perception des genres est montré avec sensibilité, les tabous y sont bousculés, s’agissant des personnes transsexuelles, de la discrimination de genre, du culte du virilisme, de la vieillesse, du soi-disant honneur familial, lorsque par exemple la voisine, qui est veuve et tient compagnie au patriarche, subit les critiques de son fils… Il y a des passages dans le film, très beaux, profondément émouvants, où à l’évidence se dévoilent les codes pour entraver le désir, la liberté de chacun et chacune et leurs conséquences dramatiques. Finalement que signifie être une femme ou un homme, en dehors des normes sociales imposées ? À bas le patriarcat et vive la transgression !

Joyland, c’est aussi une image magnifique, un montage parfait, une distribution étonnante… Et la musique est géniale !

Joyland de Saim Sadiq est au cinéma le 28 décembre.


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