Chroniques rebelles
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Samedi 16 juillet 2022
Un Peuple d’Emmanuel Gras. L’ivresse des communards
. Prophylaxie antialcoolique et discours de classe de Mathieu Léonard (Lux éditions). Dédales de Bogdan George Apetri. Magdala de Damien Manivel. Ce plaisir qu’on dit charnel et Le Jour du dauphin de Mike Nichols
Article mis en ligne le 11 juillet 2022

par CP

Un Peuple
Film d’Emmanuel Gras

Entretien avec Emmanuel Gras

L’ivresse des communards

Prophylaxie antialcoolique et discours de classe

Mathieu Léonard (Lux éditions)

Dédales
Film de Bogdan George Apetri (20 juillet 2022)

Magdala
Film de Damien Manivel (20 juillet 2022)

Un Peuple
Film d’Emmanuel Gras

Entretien avec Emmanuel Gras
Sur écran noir, au son : Macron est Interpellé, bafouille un peu et répond par un slogan : « Moi je crois dans une République du mérite et du travail. » Et c’est ce que vous représentez ?! Des balbutiements de campagne électorale ?
La chanson de Nino Ferrer, la Maison près de la fontaine, accompagne une balade dans la ville de Chartres, plutôt dans la périphérie, la zone commerciale… La maison près de la fontaine, pano et zooms sur les zones pavillonnaires, les HLM, vue aérienne de la ville. De loin, un rond-point la nuit.
2018, Le gouvernement annonce l’augmentation de la taxe sur le prix du carburant, c’est la goutte d’eau qui fait déborder un ras-le-bol général installé depuis longtemps. Et c’est un soulèvement spontané, sans leader, ni organisation…
Les Gilets jaunes. Une mobilisation générale durant laquelle les gens se parlent, ne ressentent plus la honte de dire leur misère, leurs difficultés : « On demande la justice », « on se bat pour tout le monde ». C’est une lutte collective sans direction, ni chef. Pour cette raison, il fallait évidemment décrédibiliser ce mouvement.

Les Gilets jaunes sont très vite diabolisés par les autorités et les médias, comme on pouvait s’y attendre car ce type de mouvement, qui échappe au contrôle, fait peur… Et voilà que les classes dangereuses déboulent dans les beaux quartiers parisiens… LCI, BFM et les autres se déchaînent… Ah non pas question de toucher aux symboles du pouvoir, du fric et d’un nationalisme guerrier ! Pourtant taguer ce monument ouvertement à la gloire de la guerre, c’est comme l’envelopper dans du plastique… En revanche, les blessé.es pendant les manifestations, la violence policière programmée, les provocations… ça c’est insupportable ! Les Gilets jaunes : c’est finalement une prise de conscience extraordinaire et spontanée de l’injustice sociale…
Un peuple d’Emmanuel Gras : Un peuple, le film
unpeuplefilm@gmail.com

L’ivresse des communards

Prophylaxie antialcoolique et discours de classe

Mathieu Léonard (Lux éditions)

« Classes laborieuses, classes vicieuses »
 Comment la lutte contre l’alcoolisme a été utilisée par le pouvoir sanitaire, politiciens et médecins, pour discréditer la Commune et stigmatiser les classes populaires
Le discours réactionnaire de la fin du XIXe siècle utilise l’alcool pour incriminer le prolétariat et réduire ses soulèvements révolutionnaires et démocratiques à des défouloirs éthyliques collectifs. Au lendemain de la Commune, l’Académie de médecine qualifie l’insurrection de « monstrueux accès d’alcoolisme aigu dont la population honnête a été, pendant deux mois, le témoin épouvanté », selon le Dr Jules Bergeron qui déclare en 1872 devant ses pairs que « de si grands excès n’auraient pu se produire, si une partie de la population n’avait été déjà démoralisée par des habitudes d’ivrognerie invétérées. »
En partant d’une minutieuse archéologie du mythe de l’ivrognerie des communards dans la littérature versaillaise et le discours hygiéniste, l’auteur décrit la lutte contre l’alcoolisme en France au lendemain de l’insurrection comme une des façons d’exorciser le démon révolutionnaire. Il montre comment le regard des médecins et des psychiatres sur les insurgés drape d’oripeaux scientistes une véritable mission politique qui amalgame prolétariat, socialisme, maladie mentale et alcoolisme en une repoussante allégorie de la révolution. La théorie de la dégénérescence, un des fondements de ce discours pseudoscientifique qui prépare le terrain à l’eugénisme, laissera, contre toute attente, des traces jusque dans le mouvement ouvrier et les mouvements anarcho-individualistes et néomalthusiens.

Comme le fait remarquer l’auteur, il est vrai que les voix pour contredire le déchainement réactionnaire contre la Commune et ses idées ne pouvaient guère s’exprimer après la répression de la semaine sanglante, les exécutions, les déportations, les départs en exil pour celles et ceux qui en eurent la possibilité. Tout l’élan de la Commune était réduit au silence. Le mythe de l’ivrognerie des Communard.es, eut alors beau jeu de s’imposer et d’imprégner profondément les esprits, un mythe d’ailleurs prôné tant dans les discours que dans la littérature et la presse.
Auteur de L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale (la Fabrique), Mathieu Léonard participe au mensuel CQFD et il présentait pour la première fois son nouvel ouvrage à la Librairie l’Atelier, dans le XXème arrondissement de Paris et les chroniques y étaient. Dans un premier temps, Mathieu évoquait les thèmes de son livre et, dans la seconde partie, il commentait l’iconographie, riche et étonnante, qui complète son essai.
L’ivresse des communards

Prophylaxie antialcoolique et discours de classe

Mathieu Léonard (Lux éditions)

Les chansons et les illustrations musicales sont extraites de l’album du Trio Utgé Royo sur la Commune de Paris, avec notamment pour interprètes Natacha Ezdra, Cristine Hudin et Serge Utgé Royo.

Dédales
Film de Bogdan George Apetri (20 juillet 2022)

Une novice de 19 ans, Cristina, quitte clandestinement son monastère pour se rendre à l’hôpital de la ville, on devine que c’est pour une IVG, mais tout reste dans le vague. Ses mensonges à un premier médecin, ses hésitations, tout concourt à installer un climat d’angoisse et l’attente d’un drame. Après avoir cherché à joindre un policier au commissariat, puis ensuite chez lui où elle rencontre son épouse, mais se sauve en prétextant s’être trompée d’adresse, elle manque son rendez-vous avec le chauffeur de taxi qui l’a conduite le matin à l’hôpital. Elle emprunte donc un autre taxi. L’homme s’arrête près d’un pont, pour que la jeune fille puisse se changer dans un petit bois et remettre sa tenue de novice. Il l’agresse, la frappe sauvagement et la viole, l’abandonnant pour morte. Toute cette première partie tourne autour de Cristina, qui avant même l’agression, semble traquée et désespérée. Elle s’exprime peu, semble fragile, perdue et sans soutien, son attitude et les faits à peine suggérés installent une tension, jusqu’au phénomène du vent dans les branches et ses cheveux qui devient une menace. De plus, la construction du film en longs plans séquence conduit inexorablement à une conclusion tragique. La scène du viol est extrêmement longue, certes sans voyeurisme, mais l’impression d’indifférence est insoutenable. Des ouvriers passent à proximité, mais ne remarquent rien… Une tragédie ordinaire dans le silence.

La seconde partie du film est consacrée à l’enquête et à Marius, l’inspecteur de police, absolument déterminé à résoudre l’énigme par tous les moyens, l’affaire tourne vite à l’obsession. Il se rend au monastère, force les réticences, mais le silence demeure malgré la pression de l’inspecteur, qui insiste pour savoir si les religieuses connaissent les raisons de la visite secrète de Cristina à l’hôpital. Marius s’énerve contre son collègue à propos de l’emprise de la religion sur la société. « Arrête de penser, c’est dangereux », lance-t-il. À plusieurs reprises d’ailleurs, les dialogues se font l’écho de propos critiques, notamment de la part du médecin anticlérical qui remarque que les prières ne guérissent pas le cancer.

Le film fait partie d’une suite et comme l’explique le réalisateur, Dédales est le second film d’une trilogie, «  se déroulant entièrement dans mon village du nord de la Roumanie. Les trois histoires sont autonomes, on peut comprendre et apprécier pleinement chaque film sans avoir vu aucun des autres. Cependant, les trois récits se situent dans le même monde, les lieux et les personnages sont identiques, comme dans les romans de Balzac. Ainsi, les personnages principaux d’un film peuvent devenir des personnages secondaires du suivant, et de petites histoires se complètent et trouvent des points de connexion au fil des différents films. »
L’obsession de Marius à propos de cette affaire vient du fait qu’il y est lié. Marié et père de deux enfants, l’aventure, si elle est découverte, peut avoir de graves conséquences. Il va jusqu’à fabriquer des preuves sur place pour la reconstitution du crime et l’interrogatoire du chauffeur de taxi est très violente. En fait, il y a deux versions de cette scène, la véritable et la fantasmée, qui démarrent par le même geste de se rafraîchir dans la rivière. On s’aperçoit aussi que la religion n’est pas le seul problème majeur de la société, le patriarcat y tenant une place prépondérante, car finalement la femme victime de violences, tout le monde s’en moque un peu. Cristina est vraiment seule et doublement victime de la société.
Dédales de Bogdan George Apetri au cinéma le 20 juillet 2022

Magdala
Film de Damien Manivel (20 juillet 2022)

Il est possible que certains et certaines s’arrêtent à une traduction religieuse de ce film, il faut, bien au contraire, y voir une approche créative, originale et très ambitieuse de l’image, de son traitement et de son contenu symbolique, pour arriver au processus de filmer l’invisible, des fantômes dans le contexte d’un amour fou.
L’histoire de Mairie-Madeleine est intéressante, après la mort de Jésus, elle se retire complètement du monde, dans une forêt, et d’après les légendes, vit dans la méditation et la contemplation mystique de son amour perdu. Le personnage de cette femme convertie par amour et dévotion a été souvent représentée en peinture ou en poésie, mais le plus souvent elle apparaît comme une jeune femme dans ces représentations assez lyriques d’ailleurs. Et c’est justement à une partie de la vie bien moins connue et représentée de Magdala — la vieillesse — que Damien Manivel s’attache de montrer dans le film. Le quotidien d’une vieille femme coupée de la civilisation et vivant du souvenir de l’aimé pour le retrouver. Le visage vieilli, encadré de cheveux blancs, quasi extatique, ressemble en partie à la nature qui l’entoure, où elle vit et dont elle se nourrit frugalement.

Nombreuses sont les légendes du Moyen-Âge, les peintures la montrant en méditation dans une grotte ou dans la nature, mais c’est une jeune femme plutôt dénudée, près d’une croix et d’un crâne — vanité en peinture symbolisant la brièveté de la vie, le temps qui passe, la précarité de l’existence. «  Il existe en revanche peu de représentations de Marie-Madeleine âgée [remarque le réalisateur]. Il y a toutefois une sculpture magnifique de Donatello, où elle est amaigrie, les vêtements en lambeaux. Ce qui m’a animé en tant que cinéaste, c’est de rêver à ce qui pourrait s’être passé dans cette forêt. Comment mangeait-elle, dormait-elle, observait-elle le monde autour d’elle et à quoi pensait-elle ? Le film est donc une rêverie sur son ermitage et plus particulièrement sur les derniers jours de sa vie. Il y a très peu de documents là-dessus. On sait juste qu’elle y a passé trente ans et qu’à sa mort, les anges l’emportèrent au ciel. C’est peu, cela laisse donc la place à mon travail de cinéaste. » Après avoir envisagé de réaliser un film muet, Damien Manivel a décidé d’utiliser la voix, comme des cris, ou des prières murmurées en araméen ancien, tirées du Cantique des cantiques, des paroles lyriques et d’amour.

Ce qui est sans doute le plus impressionnant dans le film c’est l’évocation de l’amour fou par le visage sculptural de la comédienne, habité par une lumière intérieure, la beauté et la simplicité des images qui transmettent une sérénité jusque dans la mort. Le personnage rejoint en cela les paroles de civilisations ancestrales, par exemple les Mapuche décrivent la mort comme un feu qui s’éteint.
Un film contemplatif et fascinant par les choix de réalisation.
Magdala de Damien Manivel au cinéma le 20 juillet


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