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Samedi 23 juillet 2022
Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot. Pour elles toutes. Femmes contre la prison de Gwenola Ricordeau. Révolutionnaires. Récits pour une approche féministe de l’engagement par L’Atelier des Passages. Ce plaisir qu’on dit charnel de Mike Nichols
Article mis en ligne le 24 juillet 2022
dernière modification le 11 juillet 2022

par CP

Retour à Reims
Film de Jean-Gabriel Périot

Entretien avec le réalisateur

Pour elles toutes
Femmes contre la prison

Gwenola Ricordeau (Lux éditions)
Extraits lus par Sandrine Malika Charlemagne

Révolutionnaires
Récits pour une approche féministe de l’engagement
L’Atelier des Passages (éditions du Commun)

Ce plaisir qu’on dit charnel
Le Jour du dauphin

Deux films de Mike Nichols en version restaurée (au cinéma depuis le 20 juillet)

Retour à Reims
Film de Jean-Gabriel Périot

Adapté de l’essai autobiographique de Didier Eribon, à la fois intime et politique, Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot se réapproprie en quelque sorte ce récit historique grâce au montage impressionnant d’images et de sons — archives et extraits de films —, lié.es à la classe ouvrière et à son évolution perceptible au cours d’une période qui, finalement, peut paraître assez courte. Le film transmet un climat, une mémoire collective, réelle, vive, tangible, sans pour autant gommer le caractère personnel du récit, puisque le fil conducteur du film est une voix off, qui donne les repères du temps historique et familial. La perspective sociale et politique ainsi retracée sur plusieurs décennies et plusieurs générations, donne à percevoir le glissement orchestré de la disparition de régions ouvrières, qui favorisaient les échanges, les débats et les mobilisations de toute une classe sociale.

La grand-mère maternelle — l’indépendante, celle qui, à sa manière, refuse les codes imposés — ouvre le récit historique. C’est une femme qui désire vivre sa vie, s’amuser et d’ailleurs elle le paye très cher au moment de la Libération. Les scènes des femmes tondues rappellent la dimension de répression collective dirigée contre les femmes. Une phrase de la préface du réalisateur à un ouvrage d’Alain Brossat — Des peuples et des films — m’est revenue à l’esprit au sujet de la grand-mère maternelle… « Faire exister un peuple au cinéma, ce n’est pas représenter la foule, c’est créer une constellation fragile et éphémère de personnages (fictionnels ou documentaires) en effraction, en infraction — des personnages qui n’acceptent pas les règles du jeu ou refusent de vivre selon les règles du jeu. » La mère, elle, aura une toute autre trajectoire ; abandonnée enfant, elle est placée comme domestique et subit le harcèlement des filles pauvres, avec pour seule distraction le bal du samedi soir et, en prime, la hantise de « tomber enceinte » selon la formule d’une époque pas si lointaine, où il n’y avait ni information, ni moyens anticonceptionnels. Retour à Reims illustre parfaitement la condition des femmes par rapport à leur sexualité niée, culpabilisée et même diabolisée, on peut même ajouter que leur « émancipation » signifiait en réalité la double journée de travail. Par ailleurs, le déterminisme social diffère selon que l’on est une femme ou un homme ; la perception sociale, la construction de l’identité ne sont pas identiques.

Dans sa recherche d’archives, Jean-Gabriel Périot s’attache à montrer les images en gros plans des visages, des corps, des regards qui immédiatement évoquent le vécu, les conditions de travail, les différences de classes… « Les corps des travailleuses et des travailleurs, ces corps marqués, me bouleversent parce que je les connais, ils font partie de mon quotidien, et parce qu’à travers eux j’entraperçois une vie précise, je la sens. Il est d’autant plus important pour moi de les montrer qu’ils ont disparu des écrans. La publicité et les présentateurs et présentatrices de télévision, les stars, mais aussi les femmes et les hommes politiques, incarnent un corps social soigné et standardisé. Or la société est composée de corps différents, parfois malades et atteints, mais absents. » Cette absence de représentation de la classe ouvrière au cinéma, poursuit Jean-Gabriel Périot, date d’un « changement d’époque qui a commencé à s’opérer depuis le début des années 1980 (et qui se reflète évidemment au cinéma), un aspect à ne pas sous-estimer quand on parle de représentations du peuple est celui de la composition sociologique de ceux qui fabriquent les films. » Ceux et celles qui interviennent dans le processus cinématographique ont diverses sensibilités politiques correspondant au reste de la société, la « mode » consensuelle et l’arrivée de nouveaux supports vont jouer sur l’effacement de la représentation ouvrière en opposition aux décennies précédentes.

Il est donc intéressant d’observer depuis quelque temps le retour sur les écrans des films qui reviennent à un cinéma de critique sociale, qui parlent de lutte de classes et dans lesquels les habituels sans-voix s’expriment. Depuis janvier, sont sortis en salles Luzzu d’Alex Camilleri, Municipale de Thomas Paulot, L’Horizon d’Émilie Carpentier, Un Peuple d’Emmanuel Gras, À demain mon amour de Basile Carré-Agostini pour ne citer que quelques films. Quant au générique de fin de Retour à Reims [fragments], il est illustré au son par la Semaine sanglante, interprétée par Marc Ogeret, avec le fameux refrain : « Ça branle dans le manche ! Les mauvais jours finiront. Et gare à la revanche quand tous les pauvres s’y mettront ! »

De l’essai autobiographique de Didier Eribon, Jean-Gabriel Périot choisit d’en changer les prémices pour son adaptation… Ce n’est plus un homme, mais une femme qui raconte son histoire en voix off. Pourquoi ?
Entretien avec le réalisateur.
Retour à Reims [Fragments] de Jean-Gabriel Périot en salles

Musiques illustrant cet entretien : La Semaine sanglante, orchestration du Trio Utgé-Royo. Chansons féministes — c‘est moi la femme et Si je veux quand je veux. On ne voit pas le temps passer, Jean Ferrat. La vie s’écoule, la vie s’enfuit, Pour en finir avec le travail. On en a plein le dos, Kalune. La Semaine sanglante, Marc Ogeret.

Pour elles toutes
Femmes contre la prison

Gwenola Ricordeau (Lux éditions)

Extraits lus par Sandrine Malika Charlemagne

Bruce Springsteen et Tom Morello en concert, The Ghost of Tom Joad

Révolutionnaires
Récits pour une approche féministe de l’engagement
L’Atelier des Passages (éditions du Commun)

Révolutionnaires réunit 6 témoignages de femmes qui se sont engagées pleinement dans des luttes dans les années 1970 et 1980. Révolutionnaires, elles ont participé à des mouvements qui s’y apparentent.

Les autrices les ont interrogées pour comprendre leur engagement et faire le récit de leur expérience pour en laisser des traces. Elles viennent d’Allemagne, d’Uruguay, de Suisse ou d’Italie, elles ont le sentiment que leur histoire n’a pas vraiment d’importance, ce sont des anonymes qui ont pourtant participé à l’histoire des mouvements syndicaux et des luttes. À travers leurs récits c’est une histoire intime et féministe de l’engagement.
Révolutionnaires met en lumière l’itinéraire de femmes souvent invisibilisées et tisse des liens entre des militantes d’hier et celles d’aujourd’hui. C’est donner la parole à des femmes dont les luttes peuvent enrichir la réflexion et les engagements d’aujourd’hui.

Carly Simon, You’re so vain

Ce plaisir qu’on dit charnel
Le Jour du dauphin

Film de Mike Nichols en version restaurée (au cinéma depuis le 20 juillet)

C’est surtout Ce plaisir qu’on dit charnel qu’il ne faut pas louper. Après la présentation du texte précédent, Révolutionnaires, le film de Mike Nichols, Ce plaisir qu’on dit charnel, est une illustration incroyablement critique, je dirai même corrosive, du sexisme à la fois grossier et pathétique.
Deux amis partagent, depuis leurs études à l’université et pendant plus de vingt ans, le récit de leurs « conquêtes amoureuses », leurs fantasmes sexuels et leur vision des femmes, tout en clichés… Le film, sorti en 1971, est un catalogue du parfait matcho en ce qui concerne Jack Nicholson qui incite, dès la première scène, son camarade (Arthur Garfunkel) à passer à l’attaque d’une jolie blonde. Nicholson est absolument génial de naturel dans son rôle caricatural de sexiste odieux et méprisant, mais parfaitement crédible. Il prône le mensonge, triche avec délectation, et se servir des femmes comme des objets sexuels, il ne pense qu’aux fesses, aux gros seins, bref à des poupées Barbie offertes à son assouvissement. Il trompe même son ami en lui piquant son amoureuse et se considère comme absolument irrésistible. Don Juan des années 1970 chez les bourges états-uniens.

Magnifique portrait d’une époque où la consommation bat des records dans tous les domaines. Candice Bergen et Ann-Margret, qui les côtoient un moment, ne sont d’ailleurs pas exactement des féministes, elles subissent leurs rôles qui oscille entre séduction, manipulation et frustration au final. Il ne faut pas oublier que c’était l’époque de la soi-disant libération sexuelle, enfin paraît-il parce que le jeu instauré entre les hommes et les femmes n’est pas exactement une vision libérée des rapports sexuels, du désir et du plaisir, chacun et chacune restant coincé.e dans des schémas amoureux classiques sans grande évolution, ni réflexion. Qu’il s’agisse du mariage ou de la relation sexuelle tarifée, on est loin des relations égalitaires, c’est même l’inverse et le backlash n’aura guère de difficulté à passer dan les années 1980.

Mike Nichols a réalisé le sublime Qui a peur de Virginia Woolf ?, le Lauréat — très subversif —, et Catch 22, avec Ce plaisir qu’on dit charnel, il ajoute un film assez désespéré à la trilogie, qui complète le constat critique des rapports hommes/femmes dans la société états-unienne. La scène finale de l’homme — Jack Nicholson, cynique — qui a « réussi » financièrement sa vie, fait partie d’une élite, mais ne peut plus bander sans que l’argent s’en mêle, est glaçante, même si l’on pourrait quelque part s’en réjouir, c’est une vision au vitriol du « mâle » coincé dans sa peur, son virilisme et son vide émotionnel. Piètre victoire !
Ce plaisir qu’on dit charnel est un film rare, à voir, ensuite on peut se précipiter et revoir les autres… Mike Nichols est vraiment un très grand réalisateur et metteur en scène.
Ce plaisir qu’on dit charnel est actuellement au cinéma

Le Jour du dauphin de Mike Nichols (20 juillet 2022)

Joan Baez, Love is Just a For Letter Word


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