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Samedi 13 août 2022
Little Palestine Journal d’un siège. Entretien avec le réalisateur Abdallah Al-Khatib. De l’autre côté du ciel de Yusuke Hirota.
Article mis en ligne le 18 août 2022
dernière modification le 12 juillet 2022

par CP

Little Palestine
Journal d’un siège

Entretien avec le réalisateur Abdallah Al-Khatib

Et Il y eut un matin
Film d’Eran Kolirin

De l’autre côté du ciel
Film d’animation de Yusuke Hirota (17 août 2022)

Little Palestine
Journal d’un siège

Entretien avec le réalisateur Abdallah Al-Khatib

En compagnie de Zeina Toutounji
Little Palestine. Journal d’un siège de Abdallah Al Khatib est un témoignage de l’intérieur, qui décrit le quotidien dramatique des asségié.es, les réflexions, les faits sans toutefois rajouter à l’horreur présente sur les images. C’est avec pudeur que la caméra saisit le regard d’un vieil homme épuisé, celui des malades, des femmes cherchant désespérément un reste de nourriture dans les détritus…

Dans ce chaos immobile qui semble sans fin, les enfants résistent. Le film est également un hommage à la solidarité, au courage de nombreuses personnes, et aux enfants impressionnants par leur maturité face à la situation.
Lors de notre rencontre avec Abdallah, la première question a concerné sa relation à la caméra dans cette situation extrême, autrement dit : que signifiait “filmer” dans une situation de survie ?

©Cinemed
L’importance de Little Palestine est non seulement le document et le témoignage exceptionnel qu’il représente, mais c’est aussi un grand film de cinéma.
L’entretien avec Abdallah Al-Khatib est aujourd’hui diffusé dans son intégralité dans une traduction de Zeina Toutounji.

Illustrations musicales : Trio Joubran, Carry the Earth, The Long March, Roubama. Odeh Turjman, Music of an Ordinary Day.

Et Il y eut un matin
Film d’Eran Kolirin

«  Je suis toujours à la recherche de l’entre-deux », cette phrase pourrait ainsi résumer la note d’intention d’Eran Kolirin pour son nouveau film et, plus généralement, pour son œuvre cinématographique. Et il y eut un matin l’illustre en effet : le film se situe dans un village palestinien sur le territoire israélien — au vu des plaques jaunes d’immatriculation des véhicules —, où les responsables de la milice sont des Palestiniens qui suivent les directives israéliennes et, se prenant pour des rambos au service de l’autorité occupante, font la chasse aux illégaux qu’il appellent des « Dafaouis », terme péjoratif désignant des Palestiniens venant des territoires occupés pour travailler au noir en Israël… Une situation en attente d’un quelconque incident qui peut tout faire basculer… En relatant sa rencontre avec l’auteur et le roman qui a inspiré le film, Eran Kolirin dit s’être approprié l’histoire pour la raconter à sa manière : « J’avais la bénédiction de Sayed Kashua, qui me laissait parfaitement libre d’agir à ma guise. Pour autant, l’exercice était périlleux : on peut, parfois, être fidèle à des détails et passer à côté de la vérité d’un sujet. Comme on peut trahir les détails d’un roman et être bien plus en phase avec sa vérité profonde. Il m’a fallu plonger dans les profondeurs du texte pour pouvoir en dégager l’esprit et en faire celui de mon film. […] L’absurdité de cette situation est au cœur du roman. Les personnages y sont en situation de survie, et vivent cet état autant de l’extérieur que de l’intérieur, les deux étant intimement liés. Que signifie “être assiégé” ? Cette histoire tente de caractériser l’essence même de cette sensation. »

En adaptant le roman de Sayed Kashua, Eran Kolirin aborde également des problèmes souvent passés sous silence, tabous diront certain.es. En effet, on évoque parfois la discrimination vis-à-vis des 20 % de la population palestinienne restée sur leur terre en 1948, à la création de l’État d’Israël, les commentaires sont plus complexes sur la discrimination « de classe », ou encore le sentiment de culpabilité, qui existe au sein de cette population envers la population palestinienne des territoires occupés. Une partie de la population palestinienne des territoires travaillait en Israël avant les accords d’Oslo, mais après 1992, les permis de travail ont été supprimés, mettant au chômage beaucoup de travailleurs, notamment dans les domaines du BTP et de l’agriculture. Il en résulta un accroissement de la précarité due au manque de travail en Palestine occupée, d’où le passage illégal en Israël de travailleurs, d’une manière ou d’une autre, en quête de boulots au noir et donc livrés à l’arbitraire de patrons concernant les salaires.

Ce type de situation crée évidemment des apriori, évoqués dans le film par des remarques au détour de dialogues et par certaines attitudes. La société palestinienne est divisée par une occupation militaire de plus de 70 ans : 20 % de la population palestinienne-israélienne a des papiers israéliens, mais n’a pas les mêmes droits que le reste de la population israélienne, étant écartés du service militaire ; d’autre part, il y a la population palestinienne de Cisjordanie, dont une partie a plus de moyens financiers, notamment celle revenue d’exil après 1992 ; enfin il y a la population palestinienne qui vit dans la Bande de Gaza. Les tensions générées par la situation sociale et politique ont pour conséquences de donner dans certaines occasions les coudées franches aux abus de pouvoir et autres magouilles.

Dès la première séquence du film, celle du mariage, une sorte de malaise s’installe par paliers. Ce qui est censé être une fête tourne court comme pour anticiper une catastrophe, les colombes restent dans leur corbeille et ne s’envolent pas, les invités semblent dans l’expectative et commèrent, Aziz, le jeune marié paraît angoissé, les enfants invités s’emplissent les poches de sucreries, mais le fils du maçon, qui construit un étage supplémentaire à la maison, est stoppé du regard par la maitresse de maison, lui rappelant ainsi qu’il n’a pas les mêmes droits que les autres gosses… Au milieu de la fête, Sami, le fils aîné, n’a qu’une envie, celle de rentrer à Jérusalem après cette obligation familiale remplie. En voiture, son fils demande « C’est quoi des Dafaouis ?
— C’est des Palestiniens comme nous » répond Mira, sa mère.
La voiture est stoppée à la sortie du village par un barrage militaire. Aux questions de Sami, les militaires disent que la décision vient d’en haut et qu’ils ne savent rien de la durée du blocus. Sami doit rebrousser chemin et revenir à la maison familiale.

Le lendemain matin, tout le village se rend sur place, personne ne peut aller autravail, il n’y a pas de réseau téléphonique, le village est isolé, coupé du monde extérieur par le mur érigé par les militaires, sans plus d’explications. Un invité du mariage, qui travaille pour une boîte étrangère, s’énerve et lance : « Forçons le barrage. Notre destinée n’est pas de vivre une vie de misère… » Mais en tentant le passage, il se fait tirer dessus. La tension monte d’un cran, le chaos s’installe et les esprits s’échauffent, les boutiques sont vidées de leurs produits, on se chamaille pour un paquet de riz, les coupures d’électricité désorganisent la vie au village. Mira se dispute avec sa belle-sœur qui soutient son collabo de mari et dit à Sami : «  Tu veux baiser ? Quoi faire d’autre ! »
L’état de siège est incompréhensible pour Sami. Après plusieurs tentatives d’appeler Jérusalem, mais sans succès, il se sent piégé entre deux mondes, sa vie, son travail en Israël, et son village natal. Il s’arrange finalement avec un jeune militaire jouant de la guitare au poste de garde afin de joindre son responsable par téléphone, la nuit. Il apprend ainsi qu’il est viré : « Je suis absent quelques jours et ils me virent ! » s’écrie-t-il furieux avant de s’en prendre au jeune garde israélien : « tu es le pire de tous. »

Le lendemain, le père de Sami et d’Aziz traite son gendre de vendu lorsque celui-ci, prétextant une décision de realpolitik pour dénouer le problème, annonce que les milices vont rafler tous les illégaux palestiniens, et il s’écrie : « Qu’est-ce que j’ai fait pour que ma fille épouse un tel imbécile ? » Lorsque la milice vient chercher les Palestiniens qui vivent sur le chantier de la maison, il s’oppose à son gendre et refuse de les livrer, mais le maçon et son jeune fils se rendent avec ce commentaire : « Votre prison ou la leur, ça change quoi pour nous ? À chacun sa prison. » Deux personnages semblent comprendre la situation et adopter avec lucidité une sorte de détachement, l’ouvrier palestinien et la mère de Sami. Tous deux observent avec sagesse l’emballement qui gagne le village.

En voulant faire voler un cerf volant autour du village, Sami, Mira et leur fils découvrent le mur qui cerne à présent complètement le village. Une partie de la population décide alors de manifester, et sur une des pancartes brandies, on peut lire : Honte aux collaborateurs ! Mais à l’arrivée des miliciens en 4x4, Ashraf en tête tirant des coups de feu en l’air, la manifestation se délite et Abed, le sincère et le bouc émissaire, est humilié publiquement. Dans ce climat délétère, le couple en crise de Sami s’explique, et Mira de conclure :
« ne t’excuses pas pour ce que tu as fait, mais plutôt pour ce que tu n’as pas fait. »

Après son film le Voyage de la fanfare (2007), Eran Kolirin a réalisé notamment The Exchange et Au-delà des montagnes et des collines, son nouveau film, Et il y eut un matin, mêle l’intime et le politique, le drame et la comédie, donnant une force au récit, une fable de l’entre-deux à l’image de Sami partagé entre son identité palestinienne et sa vie en Israël. Son père, qui rêve de le voir revenir dans son village natal, construit un étage supplémentaire à la maison familiale, mais Sami est en total décalage avec son ancienne vie. L’état de siège le met alors face à ses contradictions —“retour aux sources” versus “volonté de s’en extraire” — qui font vaciller tous ses repères.

Et il y eut un matin a été tourné dans deux villages palestiniens et est interprété par des comédiennes et comédiens palestiniens. À la présentation du film à Cannes, Eran Kolirin a déclaré : « Jamais je n’ai vécu une expérience humaine d’une telle intensité. J’avais à cœur que la situation singulière décrite par ce film trouve un ancrage réaliste, mais soit exprimée de manière poétique, et que ce geste artistique réalisé par tous [et toutes] avec une telle ferveur, une telle implication, soit aussi un acte politique, car je ne vois pas de frontière entre la poésie et la politique. Bien sûr, nous n’y donnons pas de leçon, mais il s’agit de faire éprouver ce que quelqu’un peut ressentir quand il se retrouve encerclé par un mur, et crie sans être entendu. »
Au début de la rencontre dans le cadre du festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, nous avons demandé à Eran Kolirin de revenir sur la nouvelle de Sayed Kashua dont s’inspire le film et ses raisons d’en faire l’adaptation.

De l’autre côté du ciel
Film d’animation de Yusuke Hirota (17 août 2022)

Belle aventure de résistance que celle de Lubicchi, le petit ramoneur qui refuse les évidences dictées par l’autorité. Il vit dans une ville au ciel gris, forcément, c’est une ville où les innombrables cheminées crachent jour et nuit leurs épaisses fumées, qui du coup bouchent le ciel, l’horizon, enfin tout. Son père, qui a disparu un jour sans laisser de trace, lui a toujours dit qu’il y avait un ailleurs derrière ces fumées, le ciel, les étoiles… même chose pour la mer que l’on dit dangereuse sans chercher d’autres explications que celles édictées par les autorités qui contrôlent tout avec une police brutale sans cesse sur le qui vive…

Or, un soir d’Halloween, Lubicchi fait accidentellement une rencontre qui va bouleverser sa vie et ouvrir des perspectives, et une alternative libératrice à son futur bouché. Il sauve Poupelle, qui appelait à l’aide d’une benne à ordure, d’une destruction certaine emporté tout droit vers l’incinérateur de déchets de la ville… Mais après son premier réflexe, Lubicchi le regarde — drôle de personnage fait de bric et de broc, de récup quoi —, mais surtout il le sent ! Ben oui Poupelle pue ! Il sort de la poubelle alors bien sûr… Le petit ramoneur le ramène quand même chez lui et le lave, malgré quelque répugnance, et le duo part vers une aventure merveilleuse, faite de découvertes mais aussi de prise de conscience environnementale…
Il faut rappeler les règles de la ville cheminée :
1. Ne regarde pas en haut.
2. Ne crois pas en tes rêves.
3. Ignore la vérité.
Alors évidemment, lorsque le jeune ramoneur et son copain Poupelle posent la question : « Qu’y a-t-il de l’autre côté de la fumée noire ? », les ennuis commencent pour ces empêcheurs de se résigner en rond ! C’est une fable magnifique, mais on l’aura compris, « De l’autre côté du ciel est un microcosme de la société moderne dans laquelle on se moque des gens qui ont une vision, au point qu’ils finissent harcelés s’ils agissent pour la concrétiser  ».

Superbe histoire, très belle bande son et animation merveilleuse, en plus, les personnages ne sont pas des super héros pour une fois, mais des personnes qui vont jouer de leur faiblesse et de leur humanité pour atteindre avec détermination leur rêve : voir les étoiles, de l’autre côté d’un ciel jusqu’alors caché par la pollution.

Deux minutes pour un mot sur le film des Frères D’Innocenzo en salles le 17 août, Americana Latina.
C’est l’histoire d’une homme qui a tout pour être heureux, une belle maison, certes un peu isolée et un peu inquiétante, un boulot qui semble lui convenir — il est dentiste —, une compagne aimante et deux filles adorables. Mais voilà, il y a une fêlure dans cette vie modèle qui semble accomplie. Surtout après la découverte d’une adolescente retenue dans la cave, entravée et bâillonnée, alors que des disparitions de jeunes filles ont été signalées… Double vie, fantasmes de la frustration, amnésie ? On reste un peu sur une attente de quelque chose qui n’arrive pas.
Le film oscille entre ambiance glauque, réalité sublimée, horreur et maladie mentale… On ne saura rien des circonstances de l’enlèvement de la jeune séquestrée, on assiste seulement à la dégradation d’un esprit, dans une maison étrangement conçue, à la cave immense qui paraît correspondre elle-même à ce périple mental… C’est assez inquiétant, mais cela n’atteint pas l’horreur de Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell.


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