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Samedi 4 décembre 2021
L’Homme qui penche de Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury. Lingui, les liens sacrés de Mahamat-Saleh Haroun. Nudo Mixteco de Angeles Cruz. Au cœur du bois de Claus Drexel. Où est Anne Frank ! de Ari Folman. Any day Now de Hany Ramezan, chronique suivie d’un panorama des films iraniens récemment sortis en France et d’une réflexion sur le cinéma iranien en compagnie de Bamchade Pourvali
Article mis en ligne le 9 décembre 2021

par CP

L’Homme qui penche
Film de Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury (8 décembre)

Lingui, les liens sacrés
Film de Mahamat-Saleh Haroun (8 décembre)

Nudo Mixteco
de Angeles Cruz (8 décembre)

Au cœur du bois
Film documentaire de Claus Drexel (8 décembre)

Où est Anne Frank !
Film d’animation de Ari Folman (8 décembre)

Any day Now
Film de Hany Ramezan (8 décembre 2021)

Panorama des récentes sorties en France de films iraniens et réflexion sur le cinéma iranien
En compagnie de Bamchade Pourvali, animateur au Lucernaire du ciné-club iranien.

L’Homme qui penche
Film de Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury (8 décembre)

Poète et ouvrier, Thierry Metz est l’un des plus grands écrivains de sa génération. Il modèle ses expériences par l’écriture et transforme chaque étape de vie en matériau poétique. Il donne une âme au chantier, aux paysages du Lot-et-Garonne, à la maison dans laquelle il vit.

Le film retrace l’intensité tragique d’une vie entièrement consacrée à la création et propose un dialogue entre la poésie et le cinéma.
Accompagné par les textes de ses principaux recueils, il fait exister les habitants de ses poèmes : les manœuvres, les saisonniers et les patients du centre psychiatrique de Cadillac... Très belle osmose entre les textes et les images et leur traitement. Un film rare.

Lingui, les liens sacrés
Film de Mahamat-Saleh Haroun (8 décembre)

Après Une saison en France, qui traitait des problèmes rencontrés par les réfugiés politiques, Mahamat-Saleh Haroun revient au Tchad pour tourner Lingui, les liens sacrés.

Amina vit avec sa fille Maria, âgée de quinze ans dans les faubourgs de N’djaména. Elle vit seule et lorsqu’elle découvre que sa fille adolescente est enceinte, c’est la catastrophe. Une grossesse non désirée… Que faire dans un pays où l’avortement est condamné par la religion et par la loi ?

Mahamat-Saleh Haroun réalise avec Lingui, les liens sacrés des portraits de femmes déterminées, résistantes et touchantes, son film est ouvertement engagé pour « le droit des femmes à disposer de leur corps » en abordant le problème des rapports sexuels, des interdits, du viol, de l’excision… Un film critique important et d’une très grande beauté visuelle.

Nudo Mixteco
de Angeles Cruz (8 décembre)

Trois femmes, trois histoires dans la région de Oaxaca, trois femmes qui font le choix d’aller vers l’émancipation dans un village où les lois patriarcales dominent et où les transgresser est inimaginable. Les trois récits s’entrecroisent et illustrent parfaitement les traditions qui écrasent les femmes sans qu’elles puissent rien faire, sinon subir. Or c’est à l’occasion d’une fête religieuse qu’elles réagissent et refusent le poids imposé depuis l’enfance, celui d’être une femme. La réalisatrice Angeles Cruz l’explique ainsi : « Dans les fêtes, on s’autorise beaucoup de choses. La communauté devient un personnage qui relie les différentes histoires dans le cadre de la célébration. Il y a un vrai contraste dans les situations que vivent ces femmes et je pense que cela permet de mieux appréhender la complexité de nos peuples, d’un côté il y a la célébration et de l’autre les circonstances dans lesquelles les personnes reviennent. Finalement le fossé qui existent entre ceux qui reviennent et ceux qui sont restés n’est ni plus ni moins une allégorie de la façon dont nous nous comportons.
Les fêtes patronales sont le prétexte parfait pour revenir, faire la fête et partir. Dans le cas de
Nudo Mixteco, les personnages prennent une décision qui change le cours de leur vie même si la fête continue. Selon moi, cela exprime cela exprime l’âme de ma communauté, à savoir la tolérance, la bienveillance mais aussi les limites de nos traditions, la solitude et la fête qui apportent un répit à nos peine. Ainsi mon peuple entre douleur et fête, modernité et racines, migration et impossibilité du bonheur sauvegarde un sentiment de communauté. »

Maria travaille à Mexico et a acquis une autonomie économique. Elle revient au village pour les funérailles de sa mère. Rejetée par son père, qui ne dit rien sur l’interdiction faite à Maria de se recueillir sur le corps de sa mère morte, elle retrouve son amour de jeunesse, Pietad, qui est restée au village sans doute par crainte de rompre avec sa communauté. Maria, s’étant exilée en raison de son orientation sexuelle, renoue avec elle lors d’une très belle scène d’amour. Mais si elle est partie, Maria n’a pas réellement coupé les liens avec sa communauté.

Pour Chabela, c’est plus une forme de rébellion qui l’oppose au conseil du village, qui voudrait la voir reprendre la vie commune avec son ancien époux, mais elle a refait sa vie et refuse de se soumettre à un époux furieux de constater que sa longue absence a permis à « sa » femme de vivre avec un homme de son choix. Les deux femmes sont coupables aux yeux de la société de ne pas se conformer aux traditions. Toutefois avec une différence. Maria conserve une blessure tandis que Chabela se libère.

La troisième femme, Toña, semble une femme forte, mais en revenant au village, elle est face à un traumatisme terrible, vécu durant son enfance et sur lequel elle a du garder le silence. Myriam Bravo, qui interprète le rôle de Toña avec beaucoup de nuances, précise : « Les femmes portent un poids, celui d’une société qui choisit de taire les abus sexuels sur les enfants. Elles ont été éduquées de telle sorte à se sentir coupables du mal que leur font les autres. » Toña a eu une sexualité brisée et quand revient au village, son comportement change comme si une nouvelle femme naissait en elle. « Toña est une femme blessée avec une solide carapace jusqu’au jour où elle se rend compte que sa fille de dix ans subit le même sort qu’elle lorsqu’elle était enfant. À ce moment-là, elle se dit que ce qu’elle a subi n’était pas de sa faute. Elle n’est en aucun cas coupable de ce qu’a fait son oncle lorsqu’elle était petite. Sa mère était complice de ce dernier mais elle, Toña, décide de ne pas reproduire la même chose avec l’homme qui a abusé de sa fille. Son instinct maternel, qui était en sommeil, resurgit alors et c’est ce qui lui donne la force de briser cette spirale de violence. »

Si chacune de ces femmes trois femmes tente à sa manière de s’affranchir des pratiques patriarcales et des traditions dans une société mexicaine en pleine mutation, il n’en demeure pas moins, comme le souligne la réalisatrice, que « le monde est à l’envers. Nous vivons dans une réalité où le simple fait d’être une femme implique un désavantage que ce soit dans notre famille, notre foyer, notre communauté, notre pays… Être une femme semble être un inconvénient et il ne devrait pas en être ainsi. Dans Nudo Mixteo, les femmes luttent contre ce carcan.  » C’est un film étonnant et sensible sur la situation des femmes au Mexique, certes, mais avec indéniablement une résonance universelle.
Nudo Mixteco de Angeles Cruz au cinéma le 8 décembre.

Au cœur du bois
Film documentaire de Claus Drexel (8 décembre)

La prostitution dans le Bois de Boulogne… Dans des lumières rasantes et très belles, Samantha, Judith, Isidro, Florence, Geneviève et plusieurs autres se confient, parlent de leur vie, de leurs difficultés, des changements de société, de l’impact des lois et de ce qu’entraîne la prostitution, parfois avec humour, réalisme, toujours avec dignité. De belles images certes retravaillées en post production. Ainsi, « le scope est important [et] il y a aussi le plan fixe et le grand angle ». Claus Drexel remarque que « quand on fait un film sur des gens déclassés, il s’installe souvent une logique qui voudrait que l’esthétique du film soit crue, peu travaillée. […] Affirmer qu’il serait normal ou obligatoire de filmer les gens pauvres de façon "crade", je dirais que c’est ce point de vue qui est inacceptable. Je préfère penser qu’il n’y a pas de règle, que tout doit être possible. » Il était question avant tout de faire des « images saisissantes ».

Au coeur du Bois va bien au delà de la manière de considérer superficiellement la prostitution, le regard condescendant des autres, la vieillesse, la décision de choisir son sexe, la vie en dehors du bois… «  Il faut savoir que nous n’avons filmé que des prostituées indépendantes, à leur compte. On ne voit pas celles des réseaux [précise le réalisateur] Ces réseaux mafieux sont quelque chose qu’il faut combattre fermement , mais ce n’est pas le thème du film ».

En abordant leurs confidences, c’est parler de tous les non dits de la société, de l’envie ou de l’obligation de séduire, du mal vivre, de la discrimination de genre, des problèmes sociaux liés à cette pratique, des réactions de l’État, la plupart du temps à côté de la plaque… La loi de pénalisation du client n’a eu aucune incidence sur les réseaux par exemple, qui s’organisent différemment. Évidemment, comme d’habitude, plus facile d’interdire, de punir, ou de taxer, c’est une manière de ne pas écouter ce que cela révèle et de faire plaisir à une moralité ordinaire qui s’en contente.
Les écouter, c’est nécessaire, sans juger, sans empathie niaise, et le film de Claus Dexter réussit cela sans complaisance ni voyeurisme…
Jean-Michel Carré, qui est souvent venu dans les chroniques, avait réalisé une série de films sur la prostitution, dont les Trottoirs de Paris, les Enfants des prostituées, les Clients des prostituées (1994), les Travailleu(r)ses du sexe (2010).
Au cœur du bois de Claus Drexel en salles le 8 décembre)

Où est Anne Frank !
Film d’animation de Ari Folman (8 décembre)

1942. Alors que les nazis occupent la Hollande et persécutent les juifs, Anne Frank et sa famille se cachent dans un petit appartement dissimulé en haut d’un immeuble d’Amsterdam. Malgré les menaces, une amie de la famille accepte de garder le silence. Anne a 13 ans et, pour son anniversaire, lui est offert un carnet qui devient son journal à qui elle confie au jour le jour ses impressions, ses sentiments, les angoisses de l’enfermement obligé. Cependant, elle s’adresse à une amie imaginaire, Kitty, sa confidente elle partage ses secrets jusqu’à l’arrestation de la famille et leur déportation en août 1944. Anne meurt pendant l’hiver, elle a 15 ans. Son père, Otto Frank, sera le seul survivant. Il reviendra dans l’appartement et découvrira les écrits de sa fille.
Le Journal d’Anne Frank est certainement l’un des livres les plus connus et traduits.

Dans Où est Anne Frank !, Ari Folman fait revivre Kitty, l’amie imaginaire rousse et espiègle à qui Anne parle dans son journal. C’est de l’encre du journal, exposé dans le musée Anne Frank, que renaît Kitty, celle-ci ignore tout de la mort d’Anne puisque l’écriture du journal a cessé le jour de son arrestation d’Anne. Invisible à l’intérieur du musée, mais visible dehors, Kitty dérobe le manuscrit du journal et se lance se lance à la recherche d’Anne et de son histoire, qui est aussi la sienne. Elle découvre qu’outre le musée, le nom d’Anne Frank a été donné à de nombreux lieux du quartier, une place, une bibliothèque… Kitty a toutes les audaces, « elle incarne la passerelle entre le passé et le présent. » Elle croise des jeunes gens en danger, déplorablement accueillis par les autorités et devient militante de la cause des droits humains. Kitty est la véritable héroïne du film.

« L’idée de ce titre, sans point d’interrogation, mais avec un point d’exclamation, [explique Ari Folman] c’est d’affirmer un constat : où est Anne Frank aujourd’hui, dans un monde où des enfants continuent d’être victimes de la guerre, comme si rien n’avait changé depuis. Et le point d’exclamation permet d’exprimer cela. » L’une des premières scènes où l’on voit la longue file d’attente pour la visite du musée Anne Frank —, que l’on pourrait qualifier de mémoire institutionnalisée —, tandis qu’à deux pas une famille de réfugié.es se démène pour éviter que leur tente soit emportée par une bourrasque, sans que cela suscite le moindre geste de solidarité. On peut évidemment se demander si la mémoire de ce qu’a vécu Anne Frank est vivante. Le choix de mettre en écho hier et aujourd’hui est sans aucun doute dicté par une volonté pédagogique de souligner l’indifférence administrative, les réactions hostiles de certains courants politiques, les camps de rétention et autres décisions européennes. Cela étant alimenté par les discriminations, le révisionnisme ambiant et le populisme. Cependant, l’analogie pour sensibiliser à ce que vivent au quotidien les populations migrantes pour cause de guerre, de risque de prison et de mort, ou encore de misère, peut engendrer des amalgames qui brouillent la perception historique.

Le graphisme, signé Lena Guberman, fait le choix d’inverser les tendances habituelles, précise Ari Folman : « dans le film, l’Amsterdam d’aujourd’hui est dépeint dans des tons monochromes — la ville est plongée dans l’hiver et a été vidée de ses couleurs. En revanche, le passé — vu à travers le regard d’Anne — est vivant, et saturé de couleurs. » Reste à savoir si le film séduira les jeunes générations par un côté manga, favorisera la curiosité des ados et la lecture du journal.
Où est Anne Frank ! de Ari Folman au cinéma le 8 décembre)

Any day Now
Film de Hany Ramezan (8 décembre 2021)

Ramin Mehdipour, un adolescent de 13 ans et sa famille iranienne, sont dans l’attente d’une réponse à leur demande d’asile. Lui et sa jeune sœur sont scolarisés, Ramin est parfaitement intégré, parle finnois et fait des escapades avec son ami Jigi pendant la période des vacances et même le premier jour du lycée. Une lettre arrive que Ramin traduit refus à la demande d’asile. Après un dernier recours, malgré la menace d’expulsion, Ramin prend le parti de vivre sa vie d’ado avec son copain et même de tomber amoureux d’une des jeunes filles qui fréquente le même lycée.

« J’avais 7 ans quand nous avons fui la guerre Iran-Iraq. Je me souviens encore de l’excitation ressentie, j’avais soif d’aventures. C’est comme si c’était hier ; le désespoir de ne pas réussir à retenir mon faux nom turc et notre histoire familiale inventée de toutes pièces – une histoire que mon père et son frère ont écrite sur un bout de papier pour que tout le monde la retienne. Mes parents ont dû être honnêtes avec nous, ils nous ont dit qu’on risquait la pendaison en cas d’échec. C’est ce qui nous a rapprochés en tant que famille, on formait une équipe très soudée, et ça m’a donné confiance en moi. Je jouais bien mon rôle, et tant mieux car notre réussite en dépendait. J’ai appris tellement de faux noms et de mensonges que j’en suis encore là aujourd’hui, à écrire des fictions. On a réussi à s’échapper, mais l’obstacle suivant consistait à aller dans un pays où nos mensonges allaient être analysés. "Le mensonge peut être une excellente chose", disait mon oncle à mon père. Maintenant je sais pourquoi. »

Le film se voulait un portrait intime de notre aventure parce que cette période me manquait. Ma vie a manqué de sel depuis, je n’ai pas ressenti de sentiment d’appartenance aussi fort que celui qui m’unissait à ma famille à cette époque, et aux personnes en détresse.

Je suis allé en Grèce sur l’île de Lesbos, en pleine mer, j’ai été témoin de tragédies dévastatrices, et j’ai marché avec les demandeurs d’asile de la Grèce à la Finlande. J’ai vécu une nouvelle fois le périple de mon enfance, même si c’était très différent, avec le regard d’un adulte se revoyant enfant. Je m’en souviens comme si c’était hier.

Dans le film il n’y a pas de réfugiés : il y a des familles, des amis, des voisins et des gens fiers, qui restent fidèles à leurs valeurs. Peu importe les épreuves qu’ils ont traversées, ils restent positifs et forts face à l’adversité. Surtout, je voulais vraiment insister sur le fait qu’être réfugié n’est pas une identité, ce mot ne nous définit pas.

Panorama des récentes sorties en France de films iraniens et réflexion sur le cinéma iranien
En compagnie de Bamchade Pourvali, animateur au Lucernaire du ciné-club iranien.